Magnitude 6, quintette de cuivres et batterie, présentait cette semaine un programme presque entièrement consacré à la musique de création, articulé autour du motet à 40 voix de Thomas Tallis, Spem in alium. Dans l’Espace Aline-Letendre de l’église du Gesù, un lieu particulièrement chargé d'histoire qui s'est révélé un écrin idéal, le programme proposait une expérience immersive, les huit haut-parleurs disposés autour des spectateurs permettant un adroit mariage entre musique acoustique et électroacoustique.
Huit œuvres étaient proposées, dont sept signées par des compositeurs vivants, incluant quatre premières, qui prolongeaient chacune à sa manière la page mythique de Tallis pour huit chœurs. Ainsi, Symon Henry a choisi d'utiliser la masse sonore et la spatialisation du lieu, créant une véritable œuvre in situ, Frédéric Lapointe a tiré parti de son écriture contrapuntique, Frédéric Demers de son harmonie et Sébastien Lavoie du matériau lui-même.
Le programme était structuré en deux parties, chacune introduite par une page servant d'ouverture, la première signée par Samuel Véro, tirée de la musique de scène pour L'Illusion de Corneille présentée l'automne dernier au Théâtre Denise-Pelletier, pastiche réussi mi-baroque mi-moderne (qui m'a fait regretter de ne pas avoir vu la production en question), la seconde une relecture du Veni creator grégorien de Walter Boudreau. D'entrée de jeu, la version pour quintette de cuivres et batterie de Nomade de Blaise Borboën-Léonard, mélange entre fanfare et métal, la batterie y étant traitée de façon contrapuntique plutôt que rythmique, rendait très floues les frontières entre les genres. Suivaient des créations de deux membres de Magnitude 6, Frédéric Lapointe (le batteur) et Frédéric Demers (un des deux trompettistes).
En trois mouvements unifiés par l'utilisation d'un motif récurrent, Les Passagers de la nuit prolongeaient l'héritage de Tallis par le truchement de l'harmonie jazz, tout en demeurant très structuré au niveau architectural. De façon générale, les cuivres y étaient traités ici de façon plus veloutée qu'éclatante, les rythmes devenant l'essentiel du motif en contrepoint, impulsion plutôt que pulsation. Comme son auteur, le boute-en-train Fred Demers (dont le personnage de Fred Piston, aux trompettes fantasques, a fait rigoler des milliers d'enfants), Action et recueillement instillait une forte dose d'humour au propos, l'idée d'antiphonaire étant d'abord transmise par des rires enregistrés traités en strates aux timbres distincts. Toute la pièce est conçue pour être prise au deuxième degré (filon assez rarement exploité il faut l'admettre), comme en témoignent citations du thème de Frère Jacques en mode mineur utilisé par Mahler dans sa « Titan », bribes décalées d'Au clair de la lune, relents de dixie, solo de batterie et duels de trompettistes. Le propos aurait pu être plus ramassé peut-être, mais on écoutait le sourire aux lèvres, presque malgré soi.
Métalloïde de Sébastien Lavoie s'est révélé particulièrement atmosphérique. Ici, la bande enregistrée dialoguait avec les instruments, les uns devenant le prolongement de l'autre, en une troublante symbiose, de laquelle se dégageait une véritable émotion. Nuances, textures, superpositions, spatialisation devenaient autant de façon de mettre en lumière la complémentarité des deux univers, mais surtout de toucher le spectateur.
Symon Henry a peut-être le mieux su investir le lieu dans gestes/libertés, exigeant peut-être une écoute plus active. Il a surtout su tirer parti du six secondes de réverbération du Gesù pour permettre la superposition de lignes mélodiques en quart de tons, qui donnaient l'impression de se fondre l'une dans l'autre dans leurs prolongements ou leurs attaques.
Grâce à la magie de la technologie (sept chœurs ayant été préenregistrés) et une interprétation d'une remarquable précision, le monumental Spem in alium, pierre angulaire du concept, a conclu la soirée avec brio. Après avoir passé la soirée au 21e siècle, la transposition aux cuivres de cette œuvre du 16e siècle a étonné par sa modernité et sa pertinence.
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