lundi 2 avril 2012

Toute une journée

Trois programmes distincts, mais un seul long bravo pour saluer 30 ans de la carrière sans fautes de la pianiste Louise Bessette. Les festivités s'ouvraient en après-midi par un concert mettant en lumière quatre créations, pour différentes formations. Dans Les Cinq éléments, Michel Boivin a privilégié la verticalité, partant de l’hypothèse qu'arbres, montagnes, flammes et structures métalliques se voulaient autant de gestes d'érection (en contrepoint, il a préféré se concentrer sur le côté ondoyant de l'eau). Grâce à des aplats atmosphériques, qui rappelaient par moment l'esthétique de la Sonate de Berg, à un entrelacement de motifs, on pouvait percevoir à la première écoute cette verticalité et se laisser porter par le jeu subtil de Louise Bessette. Dans Les Sabliers de la mémoire, Serge Arcuri a opté pour une superposition de solitudes plutôt qu’un réel dialogue entre les instruments (même si ceux-ci évoquent un « passé » commun à quelques reprises). Après tout, jusqu'à quel point peut-on partager des souvenirs? La recherche des couleurs se révèle absolument admirable, sans jamais tomber dans le cliché. Je pense ici notamment à cette cadence de clarinette, jouée dos au public avec brio par Simon Aldrich, dans laquelle la résonance du Fazioli jouait un rôle de complément onirique particulièrement envoutant. Au fil de l'écoute, l'auditeur se perd dans ses propres réminiscences, tout en restant entièrement connecté au geste musical. Une œuvre magique, à réentendre dans un avenir prochain. City Songs d'Ana Sokolovic, une relecture de certaines chansons de ville serbes (évoquant essentiellement des thématiques amoureuses), a fini par me rejoindre dans ses deux derniers mouvements,  complaintes du violon à peine soutenues par le piano. Lark's Heel de Michael Oesterle, pour quatuor, agrégat de douze microcosmes, misait quant à elle sur les oppositions de caractère et de textures instrumentales, la juxtaposition des discours et des impulsions de ponctuation.


Le programme suivant proposait deux œuvres colossales pour piano solo, offrant une complémentarité d'esthétiques et démontrant la richesse de la palette sonore de Louise Bessette. Monolithique, évoquant par moments le calme des jardins chinois, la Suite no 9, « Ttai » de Scelsi, toujours pertinente près de 60 ans après sa création, se veut une étude en demi-teintes mais aussi en gestion de la respiration. Au fil des mouvements, on perçoit le temps différemment, accepte son inéluctabilité, s'abandonne au souffle. Ici, pas d'angles abrupts; la sonorité est absolument maîtrisée. Les accents ne sont jamais traités de façon gratuite par Louise Bessette, mais deviennent plutôt une impulsion qui permet à la note d'osciller, de scintiller. Les Planètes de Walter Boudreau se sont révélé un véhicule de transmission plus ludique, plus digital aussi. Les points de tension étaient particulièrement bien rendus, l'auditeur se retrouvant captif de la pulsation de la pianiste. Saluons quelques effets intéressants de pédale sostenuto, une égalité redoutable de la cellule mélodique qui s'enroule sur elle-même à la toute fin et un étourdissant decrescendo de clusters, d'une surprenante poésie.

Le pianiste britannique Peter Hill se joignait à Louise Bessette pour le dernier concert. (Il a par ailleurs évoqué de façon pertinente les deux œuvres au programme dans une vidéo présentée juste avant le concert.) Les complices ont d'abord offert une lecture stupéfiante de la version pour quatre-mains du Sacre du printemps de Stravinski. Véritable monstre à deux têtes, mais ne possédant qu'une seule respiration, particulièrement organique, les pianistes ont su réaliser un admirable travail sur les timbres, qui permettait de percevoir autrement l'architecture de la partition. L'unité de conception et de réalisation laissait pantois; comment une telle communion peut-elle s'établir en si peu de temps relève presque du miracle, puisqu’il s'agit ici d'une première collaboration. La soirée s’est terminée par les Visions de l'Amen de Messiaen, compositeur phare des deux artistes, qui ont bien transmis l'écriture complémentaire de la partition d'une redoutable densité. (Le deuxième piano, partie tenue par Messiaen lui-même lors de la création, joue essentiellement un rôle harmonique et thématique, le premier, tenu alors par Yvonne Loriod, mise plutôt sur la vélocité et les éléments rythmiques.) Ils nous ont notamment offert un « Amen du Désir » sublime, dont la magnificence a continué de me hanter le lendemain.

Une journée fébrile, fertile en émotions, qui restera dans les mémoires.

3 commentaires:

Claire Cavanagh a dit…

Nous sommes très contents que vous ayez apprécié le concert et pris le temps d'en parler sur votre blogue... vous compensez en quelque sorte pour l'absence remarquée de journalistes traditionnels...

Claire Cavanagh
Société de musique contemporaine du Québec

Lucie a dit…

J'ai bien évidemment relevé leur absence, mais ai préféré ne pas entacher ce compte rendu d'une journée exceptionnelle.

Mon ami No, qui m'accompagnait lors de deux des trois concerts, en a également parlé ici: http://montrealistement.blogspot.ca/2012/04/la-femme-moderne.html

Au plaisir.

Lali a dit…

Moment magique que le 3e concert. Rien de moins.