mardi 17 juin 2014

Euphorie: portrait de femme(s)

Comment dire la jeune femme d'aujourd'hui? Est-elle au fond si différente de ses aînées? Quelles sont les thématiques qui l'interpellent, les choix qui la déchirent, les liens qu'elle peine à nommer? Euphorie de Marie-Noëlle Doucet-Paquin, présenté au Fringe ces jours-ci, puise dans l'essence même de la féminité, non pas pour en extraire une définition, geste inutile s'il en est un, mais pour en tirer un portrait en plusieurs temps, articulé autour de monologues complémentaires que se partagent cinq comédiennes.

La force de ce texte, souvent rimé, fortement porté par la rythmique du slam et les interrogations du spoken word, réside en effet dans ce sentiment inclusif qui s'en dégage. Il sera question de désir, de maternité (« raccommoder mon passé troué avant de tisser un futur à donner »), du lien avec le père (un moment d'une grande beauté, livré avec un troublant aplomb par Catherine-Audrey Lachapelle), de la difficulté à dire non, des compromis acceptés par peur de se retrouver (et de mourir) seule, du désir (a-t-on absolument du regard d'un autre sur soi-même pour s'aimer?), de cette propension que nous avons à vouloir tout faire (on aurait pu ici se passer de la représentation directe de la femme-pieuvre, mais le costume est délirant et Cassandre Émanuel bouleverse quand elle se fissure devant nous), de cette nécessité finalement de pouvoir se fier sur son cercle d'amies, de faire partie d'une communauté qui pose des gestes concrets de soutien à ses membres (ne devrait-on pas en effet « se protéger les uns les autres plutôt que les uns des autres »?)

Les danses mécaniques qui ponctuent ou accompagnent les monologues semblent au départ légèrement décalées, mais finissent par nous rappeler que nous ne sommes bien souvent que rouages d'une machine qui nous avale si on n'y porte pas attention. Marie-Noëlle Doucet-Paquin signe ici un premier texte des plus pertinents, souvent porté par une langue riche, poétique sans être engoncée. (On pardonnera l'intégration de quelques clichés et rimes faciles, qui seront peut-être gommés au fil de représentations subséquentes.) Le tout est porté avec une égale conviction par les cinq comédiennes (Pascale Brunet, Sarah Dionne, Johanne Ductan-Petit, Cassandre Émanuel et Catherine-Audrey Lachapelle), autant de facettes d'une même femme, autant de femmes d'une même communauté.

Vous pouvez encore vous glisser en salle, jeudi, vendredi et samedi. Détails ici...

7 commentaires:

Marion a dit…

Dommage que je sois un peu loin, j'aurais bien fait une pause avec elles. :)

Tu parles d'un moment d'une grande beauté lorsqu'il est question du lien avec le père : de quoi s'agit-il ?
Je suis curieuse. Ce sujet me touche.

Lucie a dit…

Ce n'est pas très clair si la jeune femme qui parle à ce moment-là a été abandonnée par son père, élevée par un autre, mais elle recherche ce lien de filiation, veut pouvoir l'appeler papa, a besoin de se sentir enveloppé de cet amour.

Marion a dit…

Merci !

Marie-Noëlle Doucet-Paquin a dit…

Bonjour,
je viens de lire la critique et les commentaires, merci, ça fait plaisir.
Pour le monologue sur le père absent, on a en effet choisis de ne pas clarifier les détails de l'histoire, chacun peut en faire l'interprétation qu'il veut. Voici le texte en question:
Faire des enfants.
C'est épeurant.
Je penses que dans toutes les familles, même les meilleures,
il y a des histoires à s'en arracher le cœur.
Ce que j'ai vécu
fait que j'ai perdu
-ou peut-être jamais eu-
la confiance que j'aurais voulu.
La confiance en celui
qui devait me protéger.
La confiance en celui
sur qui je voulais pouvoir compter.

Avant d'avoir des enfants,
je veux prendre le temps.
Je voudrais commencer
par raccommoder mon passé troué
avant de penser à tisser
un avenir à donner.


Je ne sais pas ce qu'il faudrait que je fasse.
En fait je l'sais ce que je voudrais qu'il se passe.
J'voudrais pas que ça vienne de moi...
Je voudrais que tu m'impressionne pour une fois.
Papa ta job c'était d'être mon héros.
Papa j'ai encore le cœur gros.
Je dis papa... mon père c'est même pas toi.
J'ai été chanceuse, on a pris soin de moi.
Mais ça n'efface pas ma mémoire,
ça n'efface pas l'espoir.
Te revoir.
Y croire.
Pour y avoir cru, j'y ai cru.
Même quand je ne voulais plus.
J'ai appris à faire comme si ça ne me dérangeait pas
J'ai appris que ça servait à rien d'attendre après toi.
Mais papa je ne sais pas comment arrêter d'espérer.
Papa j'ai envie de t'appeler papa.
Que ça soit toi.
L'espoir stupide que tu revienne.
L'espoir stupide que tu me reprenne,
que ce soit toi qui prenne soin de moi,
que tu sois là.
Que je puisse compter sur toi.

Lucie a dit…

Merci beaucoup du partage! Un plaisir de retrouver ces mots...et de pouvoir y revenir.

Marion a dit…

Wow ! Simplement... beau !
Merci Lucie de m'avoir fait signe pour me dire que ces mots-là avaient voyagé jusqu'ici.
Merci Marie-Noëlle d'avoir mis ces mots-là sur notre chemin.
Dans mon cas, c'est d'un papa suicidé dont il s'agit et même si ce n'était pas je crois l'idée derrière ces mots-là à l'origine, ça fonctionne aussi.

L'espoir stupide que tu reviennes.
Que tu sois là.

Émotion.

Lucie a dit…

Une communauté de femmes qui se comprennent à demi-mots.
On ne se console jamais d'un tel départ, mais il nous a transformés à tout jamais.