Après plusieurs faux départs, j'ai enfin terminé Les Bienveillantes de Jonathan Littell, peut-être le livre qui a suscité le plus d'enthousiasme et d'antagonisme cette dernière année. En train de bouquiner dans la section « essais sur la littérature » d'une librairie du centre-ville le week-end dernier, j'ai pu constater avec surprise qu'un livre a même été récemment consacré au phénomène!
J'avais hésité à l'acheter en septembre, l'avais finalement mis sur ma liste de cadeaux de Noël, m'y suis mise pour la première fois quelques semaines après, pour le délaisser ensuite pendant quelques mois, incapable de faire face à la lourdeur du livre. Lourdeur purement physique d'abord, qui empêche de l'apporter avec soi dans les transports en commun (à moins de vouloir transformer l'expédition en séance de muscu), lourdeur du contenu bien évidemment (on ne peut pas lire un pavé fouillé consacré à la Deuxième Guerre mondiale sans sourciller, tout de même) mais aussi lourdeur de la forme. Les « chapitres » sont aussi longs que la plupart des romans. Les paragraphes courent sur plus d'une page, nous empêchent de respirer (l'effet est peut-être voulu), nous découragent à l'occasion. Quand on plonge dans une description sans fin de technicalités bureaucratiques de la SS ou qu'on devient confus face à tous ces titres (même si un tableau explicatif clair est inclus en annexe), on a plus d'une fois le goût de décrocher.
Je reste partagée face à cette lecture. La recherche historique inattaquable laisse pantois et on ne peut qu'« apprendre » nombre d'horreurs inouïes sur cette guerre. En fait, ce qui m'a saisi le plus à la lecture est la relative petitesse du personnage principal qui, de fait, n'est qu'un parmi des milliers de technocrates à soutenir l'industrie de la guerre, sans fanatisme, sans grande conviction (il est souvent physiquement malade quand il contemple les charniers). Impossible de diaboliser un peuple entier dans de telles circonstances et c'est peut-être là le plus terrible.
La section la plus difficile à digérer pour moi, « Air », n'était pourtant pas consacré à la guerre directement mais plutôt à la dégénérescence mentale du héros qui, éperdu d'amour pour sa soeur jumelle et rendu profondément instable par toutes ces horreurs commises, se roule dans une fange psychologique à la limite du supportable (qui m'a rappelé certaines tentatives d'auto-fiction récentes). Malgré l'écriture particulièrement limpide dans cette section, on a l'impression de contempler l'horreur en plein visage, celle qu'on retrouve en soi, la plus noire.
Le livre méritait-il le Goncourt? Possiblement. Aurait-on pu réduire le livre de moitié et en retirer quelque chose? Sans aucun doute. Est-ce une lecture essentielle? Peut-être pas, sauf si l'on souhaite se pencher sur ces pages sombres avec lucidité et réaliser qu'aujourd'hui même, en Afrique, en Asie, en Europe, de tels crimes sont encore commis, par de vulgaires bureaucrates manipulés par des fanatiques. La modération a bien meilleur goût...
D'autres opinions: ici, là et encore ici.
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