jeudi 28 juin 2007

Les mots comme véhicules

Ils servent à transmettre le savoir, des émotions, des désirs d’évasion. Ils sont la raison pour laquelle déjà toute jeune je pouvais faire des exposés d’une heure plutôt que de deux minutes, simplement parce que je souhaitais « tout » raconter sur un sujet, partager avec les autres ces nouveaux acquis, me convaincre peut-être un peu aussi que je n’étais pas transparente, que j’étais habitée de substance.
Ce sont ces mêmes mots qui me permettent d’aiguiller les étudiants vers des concepts plus abstraits, de leur faire prendre conscience d’une sensation physique qu’ils n’ont peut-être jamais nommée, de leur transmettre certains éléments biographiques importants du compositeur, certains états d’esprits, qui permettront de mieux saisir l’essence d’une œuvre, d’un style.
Ce sont eux aussi qui nous permettent de plonger dans l'imaginaire d'un auteur, de se l'approprier, de le faire nôtre, de se sentir reconnu, d'« être lu » plutôt que de lire, comme le dit Robert Lalonde, de s'ouvrir à la tolérance comme nous le propose Myriam Beaudoin dans Hadassa (magnifique opus, instantané de vie de quartier, qui se laisse dévorer comme une légère pâtisserie), de se poser les vraies questions de l'existence comme André Gorz dans sa Lettre à D., pas tant ode amoureuse (comme je le pensais d'abord) que constat d'une évidence: elle le complète, le comprend, le laisse être.
Plonger dans les mots avec le désir de se laisser emporter...

lundi 25 juin 2007

Le monde sur le flanc de la truite

Lecture délicieuse que cette longue et fertile méditation de Robert Lalonde sur les quatre saisons (le livre est rédigé d'avril à avril) mais aussi l'écriture, la littérature, l'acte de création, la vie qui bat. Lalonde nous convie dans son univers, avec chaleur, séducteur mais honnête, nous fait partager ses coups de coeur littéraires, ses perceptions de la nature toujours en transformation. Il commente les auteurs aimés, les traduit lui-même quand les textes sont rédigés en anglais (fascinant double regard ici qui m'a permis de confirmer qu'une traduction reste tellement personnelle), prend des chemins de traverse, nous ouvre d'autres portes, dans un rythme presque toujours suspendu, qui nous force à prendre possession de l'instant présent. Un petit bijou à s'approprier sur le bord d'un lac, dans le calme de son jardin, pour oublier le tumulte qui nous entoure.

« J'aime vouloir écrire, attendre, désirer m'y mettre, tourner autour de la table où tout est à la fois pêle-mêle et ordonné, mes livres, les pages, le bol de café froid, le tabac, le briquet, les crayons taillés au couteau de cuisine, les dictionnaires, qui m'intimidenet toujours autant, comme la Bible, j'imagine, en impose aux apprentis théologiens. Je réchauffe le café, savoure mon envie inquiète, comme on se régale un peu amèrement du commencement d'un amour. »

dimanche 24 juin 2007

Les Fleurs du mal: 150e anniversaire

Un indémodable, une oeuvre coup de poing, une recueil dont on ne se remet jamais entièrement. On fêtait hier, 23 juin, le 150e anniversaire de la création des Fleurs du mal de Baudelaire. Lire ici sur la genèse de l'oeuvre.
Un des poèmes du recueil pour souligner dignement cet anniversaire...

Correspondances

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

mercredi 20 juin 2007

Si j'étais une oeuvre...

Un ami m'a raconté ce matin qu'il serait éventuellement invité à une soirée musicale bien particulière. Plutôt que de se présenter ou d'entamer une discussion un peu au hasard, il a été proposé que chaque personne présente (tous des pianistes dans ce cas-ci) choisisse une oeuvre à interpréter. Une carte de visite musicale, en somme...
Concept intrigant mais profondément stimulant aussi que de trouver « la » pièce à jouer, celle qui nous décrit parfaitement sans qu'on n'ait non plus l'impression d'être nu face à ces inconnus (même si le Rondo en la mineur de Mozart me dépeint à merveille, je n'oserais jamais jouer cette oeuvre lors d'une première rencontre), celle qui ne fait pas trop « people » (on oublie le « Clair de lune » de Debussy) mais pas trop puriste (pas besoin d'attaquer l'« Hammerklavier » de Beethoven non plus... choix vaguement pédant), celle qui n'est pas trop facile techniquement (il faut tout de même démontrer ses capacités) mais qui ne tombe pas dans l'esbrouffe (se tenir loin de la Valse « Méphisto » ou des Rapsodies hongroises de Liszt).
Choix déchirant qui varie sans doute d'une journée à l'autre (là est toute la beauté de la chose sans doute). Si j'étais invitée ce soir, j'hésiterais entre la Romance en fa dièse mineur de Schumann (sublime de simplicité apparente mais d'une riche profondeur, ode à sa tendre moitié), « Les Cyprès à la Villa d'Este » extrait des Années de pélerinage de Liszt ou un mouvement de sonate de Mozart (déchirant choix ici, la K. 333 en si bémol, le mouvement lent de la K. 576, la Fantaisie en do mineur ou le premier mouvement de la sonate qui lui est apposé, le mouvement lent de la K. 332?).
Curieusement, j'aurais beaucoup plus de difficulté à opter pour un livre ou même un personnage littéraire qui pourrait me servir de carte de visite, possiblement parce que je me retrouve dans plusieurs et que, ne relisant que très rarement un livre, je n'ai pas approfondi sa structure avec autant d'attention que lorsque je me plonge dans une oeuvre musicale. Étrange paradoxe...

mardi 19 juin 2007

Le jeu du chat

Moi qui suis très chien, j'ai néanmoins été tagguée par Carole du site Écrivains québécois qui m'invite à jouer au jeu du chat. On pourrait peut-être pour l'occasion rebaptiser le tout « le jeu du chien qui court après sa queue »?

Réglement : Chaque personne décrit sept choses à propos d’elle-même. Ceux qui ont été «taggués» doivent écrire sur leurs blogues ces sept choses ainsi que ce règlement. Ensuite, vous devez tagguer sept autres personnes et les énumérer sur votre blogue. Après, vous devez laisser un message aux 7 blogueurs pour les prévenir qu'ils ont été taggués et leur laisser un message pour les prévenir : « C’est toi le chat ! »

1- Je partage ma date de fête avec Ludwig van Beethoven et lui en ai voulu pendant un certain nombre d'années. Nous sommes maintenant réconciliés!
2- J'ai été mandatée au bureau du directeur une seule fois dans ma vie: j'avais coécrit une lettre « anonyme » à la peste-chouchou-vache de la classe. Je ne regrette rien.
3- Le premier film que j'ai vu au cinéma: The Sound of Music (en fait, à ce moment-là, en version française, donc La mélodie du bonheur). Je ne compte plus le nombre de fois que je l'ai revu depuis. Ah! la scène du landler dans le jardin...
4- Même si j'aime bien le concept d'aller « prendre un café » avec des ami(e)s, je ne bois jamais de café!
5- Je suis si maladroite que mon corps est souvent couvert de bleus ou de cicatrices, dont j'ignore même parfois la provenance. Hier soir, mon pouce gauche a fait une rencontre malencontreuse avec le couteau à pain...
6- J'éprouve une attirance particulière pour les numéros de lancement des magazines. J'adore quand on sent l'effervescence à chaque page, que les annonceurs sont plus rares (il y a alors plus de texte), qu'on tente de nous séduire. Souvent, après, les relations sont beaucoup moins suivies...
7- Je suis une lectrice plutôt vorace depuis la tendre enfance. Si je privilégie le roman, je peux sans culpabilité me vautrer dans les magazines féminins à l'occasion, me plonger ensuite dans un essai musicologique pointu, dévorer des pages d'information glanées sur la toile avant d'écrire un article mais peux aussi me perdre quelques minutes ou plusieurs heures dans la blogosphère. J'essaie de me contenir...

Je tague: Claudio, Olivia, Sandrine, Marie, Annie, Keren, Kitty Kat et tous ceux qui veulent poursuivre ce jeu, mais je ne vous en veux pas si vous ne répondez pas!

mercredi 13 juin 2007

Le plaisir de jouer

Combien de professionnels de la musique ont oublié le simple plaisir de faire de la musique? Le chiffre reste sans doute bien trop astronomique pour que j'ose l'écrire ici. Combien faut-il de regards blasés de musiciens d'orchestre ou de grimaces de choristes désillusionnés avant que nous réagissions?

Samedi soir, je suis passée de l'autre côté du miroir d'une certaine façon. J'étais invitée à une soirée entre amis par une amie, pianiste et pédagogue selon son statut « officiel ». Le repas se prenant au jardin, une guitare est bientôt sortie de son étui. Quelques airs de Pink Floyd, un extrait d'Hotel California, fort attrayants, ont été esquissés. Chose plus étrange peut-être, les violoncelles ont bientôt envahi le jardin! En effet, cette amie « pianiste » s'est mise à l'instrument il y a quelques mois et s'acharne maintenant à le mater, avec la fièvre et la diligence d'une nouvelle amoureuse. Bien sûr, elle n'a pas encore atteint le niveau d'interprétation qu'elle peut transmettre au piano. Pourtant, malgré les petits glissements, les légères imprécisions, ce qui frappait le plus, c'était la joie évidente qu'elle avait de partager avec nous ces quelques instants de musique, de vraie communication, de réel plaisir. De la regarder si transportée, en communion avec son professeur, faisait basculer dans l'univers ludique des premières années de travail, quand on n'avait aucune conscience des difficultés à combattre et des défis à surpasser. Il faudrait tous ré-apprendre notre instrument, l'apprivoiser comme si c'était la première fois, se laisser séduire par ses possibilités, redécouvrir l'essence même de la noblesse du mot « amateur », celui qui aime, qui pardonne, qui s'abandonne.

Tout aussi ludique, je vous propose ce vidéo des King's Singers, Deconstructing Johann.

lundi 11 juin 2007

Les sirènes de Bagdad

Un peu moins de titres se sont ajoutés récemment à ma liste de lecture 2007 et ce, pour quelques raisons. Tout d'abord, j'avais des notes de programme à compléter et à traduire (je me suis donc consacrée à des lectures ciblées plutôt que ludiques) mais aussi j'ai lu avec attention la deuxième mouture du roman d'un ami. Drôle d'impression que de relire un texte férocement remanié, un an après une première lecture coup de poing mais dont j'avais tenté de m'éloigner néanmoins, histoire d'être plus « objective » lors de cette lecture, crayon rouge à la main. Plaisir ludique de la lecture tout d'abord (j'adore toujours m'évader dans les livres que je manipule) mais teinté d'une responsabilité qu'il me faisait plaisir d'assumer.

Dans un autre registre, j'ai terminé récemment Les sirènes de Bagdad de Khadra. Plaidoyer déchirant pour que l'Occident saisisse un peu mieux les multiples rouages de l'âme moyen-orientale, ce troisième tome d'une trilogie consacrée aux grands conflits actuels (après Les hirondelles de Kaboul qui m'avait un peu déçue et L'attentat qui m'avait renversée) frappe fort et ne m'a pas laissée indifférente.
Souhaitant venger l'affront dont sa famille (son père a été humilié) et son village ont été victimes(une bourde militaire monumentale qui mène à l'assassinat inutile d'un malade mental et donne froid dans le dos), un jeune bédouin part pour Bagdad et accepte de devenir kamikaze. « Un Bédouin ne se dégonfle pas. Sa parole est un coup de fusil. Quand ça sort, ça ne revient jamais. » Déchiré entre son sens de l'honneur, ses souvenirs de temps moins déréglés, le vent de folie qui s'est emparé du pays, il est amené à faire des choix drastiques, parfois sordides, sans jamais trouver de réponses claires à ses interrogations. « Entre Bagdad et moi, le temps des candeurs fleuries était révolu. Nous n'avions plus rien à nous dire. Nous nous ressemblions comme deux gouttes d'eau; nous avions perdu notre âme et nous apprêtions à faucher celle des autres. » Avec l'efficacité redoutable de son écriture si unique, Khadra nous amène, pantelants, dans ce voyage au bout de la nuit.
Une entrevue avec l'auteur à lire ici

dimanche 10 juin 2007

Challenge ABC

Même si je ne suis pas officiellement inscrite, je participe à mon propre challenge ABC. La liste progresse bien mais j'aurai bientôt à aborder des auteurs moins évidents (commençant par X, Y ou Z!)
À date, j'ai donc lu
A: Auster, Arnothy
B: Björnstad

D: Dickner, Dubois

F: Filion

H: Huston, Hornbacher, Holder

K: Khadra
L: Labro, Littell
M: Manguel
N: Nothomb

P: Poulin, Pérez-Reverte, Powell
Q: Quiviger, Quignard

S: Saramago, Salatko

U: Umrigar

Pour W, j'ai déjà en réserve Wilde et son célèbre Portrait de Dorian Gray, qui manque à ma culture. Toute suggestion « essentielle » de lecture est bienvenue!

jeudi 7 juin 2007

Abécédaire musical

A pour Albéniz et la luminosité de ses textures
B pour Bach et l’ampleur de son architecture mais aussi pour Beethoven, l’ultime combattant
C pour Chopin, superbe chantre du piano
D pour Debussy, la luxuriance de ses harmonies, la fluidité de ses traits
E pour Elgar et son sublime Concerto pour violoncelle
F pour Fauré et sa façon unique d’allier texte et musique
G pour Grieg et la poésie insufflée dans ses miniatures
H pour Haydn, le mentor, l’ami, le témoin privilégié
I pour Ives et son anti-conformisme contagieux
J pour Jarrett et les premiers émois jazz qu’il m’a procurés
K pour Kabalevsky, ami fidèle des jeunes pianistes
L pour Liszt et ses œuvres tardives, témoins de son évolution en tant qu’homme
M pour Mozart l’inatteignable, l’insondable, l’intemporel
N pour Nietzche et le regard qu’il pose sur la musique
O pour Orff, ses instruments pour enfants, son Carmina burana
P pour Puccini et son habilité à transposer en musique des sentiments déchirants
Q pour le Quatuor pour la fin du Temps de Messiaen
R pour Rachmaninov et sa façon de transcender les limites du piano
S pour Schumann le déchiré, le poète, le magnifique
T pour Tchaïkovski et sa façon de nous cheviller l’émotion au cœur
U pour l’« Urlicht » de la Symphonie « Résurrection »
V pour Villa-Lobos, ses pièces pour piano, ses Bachianas brasileras
W pour Webern, minimaliste, marginal, mal-aimé
X pour Xenakis, que j’aimerais mieux connaître
Y pour Ysaÿe et son amour viscéral du violon
Z pour Zemlinsky, trop souvent oublié

Inspiré par de nombreux abécédaires qui circulent sur la toile ces jours-ci, dont ces magnifiques abécédaires amoureux

vendredi 1 juin 2007

En blanc et noir

Si vous dis noir et blanc, à quoi penserez-vous spontanément? Bien sûr, avant toute chose, au clavier d'un piano. Les ferrés en musique pour deux pianos me citeront illico Debussy. D'autres penseront peut-être aux tuxedos des musiciens d'orchestre. Si vous êtes fanatique de répertoire symphonique, vous me citerez peut-être les premières notes d'un thème d'une symphonie de Chostakovitch, spécialiste s'il en est un de la manipulation des motifs tout simples en blanches et en noires (mais diablement efficaces!). Ceux qui me connaissent et voudront me faire fâcher me parleront du premier spectacle de Gregory Charles et j'hésiterai entre le rire et la baffe.
Les zen d'entre vous me citeront le ying et le yang, les idéalistes me parleront de racisme, les photographes me vanteront la qualité du grain, les littéraires me parleront de Voltaire (si! si! il a écrit un livre Le blanc et le noir), les épicuriens m'évoqueront les subtilités d'un vin rosé.
Si toutes ces choses sont belles et bonnes, je l'avoue, blanc et noir me titillent les sens depuis deux jours... l'odorat en particulier, mon chien (tout noir avec une petite tache blanche) ayant rencontré, lors d'un speed dating matinal catastrophique la mouffette du quartier! Je livre depuis un combat inégal mais vaillant contre le rappel lancinant de cette union malheureuse. Rassurez-vous, je ne suis pas encore assez blasée pour ne pas avoir pu apprécier il y a quelques instants la pluie de minuscules pétales blancs d'un arbuste parant le noir pelage d'une myriade d'éclats, comme les confettis sur l'habit d'un marié...