J'ai un immense respect pour ces adultes qui décident de se confronter une fois de plus à un instrument, après l'avoir délaissé pendant 10, 20 ou même 30 ans. Cette année, par un curieux concours de circonstances, j'en ai plusieurs dans ma classe.
Avoir fait 10 ans de piano il y a 30 ans peut être parfois ingrat. On se souvient que l'on savait alors jouer des pièces de niveau avancé mais elles ne reviennent que par bribes. Les réflexes de lecture, non exercés pendant une si longue période, semblent parfois déficients, rendant le travail sur une nouvelle pièce doublement ardu.
Surtout, il y a l'ego, presque impossible à mater quand on a dépassé la trentaine. Non, ce n'est pas que ces dames en aient un surdimensionné, ce serait en fait plutôt le contraire. Dans le lot, j'ai deux battantes, deux féministes de la première heure, ces pionnières qui ont complété un cursus universitaire au milieu d'un océan d'hommes, qui ont dû s'élever au-dessus de la masse avec volonté, qui ont atteint des sommets professionnels assez saisissants. Mais mettez-les face à un instrument de musique, un objet particulièrement ingrat s'il en est (même les professionnels vous le diront), et cela vous remet le caquet au plus bas en une croche pointée suivie d'une double.
Le plus difficile ici est le lâcher-prise, comme dans accepter que les sonorités produites ne seront pas celles que l'on conserve au creux de notre image mentale. Non, notre interprétation ne ressemblera pas à celle de Brendel. Oui, de jouer devant un professeur est terrifiant. (J'ai parfois l'impression d'être devenue une tortionnaire quand je les vois palpiter devant moi, avec une difficulté certaine à respirer correctement.) Oui, la mémoire est une faculté qui oublie. Oui, les doigts ne suivent plus aussi vite qu'on le souhaiterait.
De la part d'un prof, cela exige aussi un lâcher-prise, d'un autre type. J'essaie bien sûr de les réconforter, de leur faire comprendre que je n'ai pas d'attentes face à elles, que je n'ai pas un fouet caché dans ma poche arrière. Cela demande une bonne dose d'abnégation et de psychologie. Mais quand les planètes sont alignées et que, enfin, on joue pour le plaisir, toutes les barrières semblent tomber d'un seul coup (même si jamais longtemps) et là, on assiste à un instant de musique mais surtout de réelle communication: communion avec la musique, réconciliation avec celle d'avant, volonté consciente d'être entendu. Parce que, même si la musique est une activité qui se pratique dans l'intimité d'un studio de pratique, elle ne prend son sens véritable que lorsqu'elle est partagée.
1 commentaire:
Tiens, va savoir pourquoi, je me sens interpellée par ça, moi qui ai repris du service après 20 ans!!! Non mais c'est enrageant de ne plus être aussi bonne qu'avant! ;) Mais maintenant, je joue parce que j'aime!!
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