Je suis rarement l'une de celles qui se précipite en librairie quand un livre sort, sauf peut-être s'il est signé Paul Auster (et même là, j'attends presque toujours la traduction). Pourtant, intriguée par les prépapiers, je n'ai attendu que quelques jours avant de me procurer
À toi, correspondance entre Kim Thuy (dont le premier livre,
Ru, a causé une véritable onde de choc) et Pascal Janovjak, dont j'ignorais tout, né en Suisse d'une mère française et d'un père slovaque, qui signait en 2009 un premier roman,
L'invisible.
Le thème de la correspondance ne pouvait que m'interpeller. En effet, depuis l'école primaire, je demeure une épistolière convaincue (le facteur était mon héros, sans contredit) et ai abreuvé pendant des années les amis de missives sur papiers tous plus exotiques les uns que les autres et qui, aujourd'hui, m'entretiens par courriel avec quelques proches sur une base régulière sinon quotidienne et ce, même si je leur parle au téléphone ou les rencontre régulièrement. Je suis incapable de tenir un journal plus de trois jours de suite, peut-être parce je préfère de beaucoup l'échange et que, des mots de l'un surgissent ceux de l'autre, que le partage de pièces musicales, de citations tirées de livres aimés, de petits instants d'une vie dont on aime être témoin m'est infiniment précieux.
Dans
À toi, deux écrivains s'apprivoisent. Ils se sont rencontrés à Monaco, ont senti tout de suite qu'une complicité pouvait se développer entre eux, et ont décidé de se connaître à travers ce qu'ils maîtrisent le mieux: les mots. Il y sera question de souvenirs d'enfance, de déracinement, d'amours perdues, de celles qu'on protège, de maternité assumée et de paternité à venir, de patries perdues, de terres d'accueil, d'écriture, du temps qui passe.
« Toi, je sais où est ta place : elle est avec les rondeurs des o des a, entre les roucoulements des r ou sur la pente des accents aigus et graves, parce que ta voix se révèle dans les murmures des espaces blancs et sous les accents circonflexes les jours de pluie. » (Kim, p. 65)
On plonge en quelques instants dans ces pages, happé par la vie qui bat, tout simplement, revenant sur quelques tournures de phrase habiles, laissant la douceur d'une émotion se prolonger encore un instant juste parce que, conscient que les deux complices n'ont pas tant partagé de façon impudique une correspondance qu'ils ont érigé une œuvre littéraire à part entière, qui se savoure par fragments, comme ces souvenirs que l'on accumule en secret, qui nous soutiennent dans les moments où tout chavire.
« Ce que j'aime dans notre correspondance, c'est cet étrange silence des messages, qui ressemble au faux silence des déserts. En ce moment précis, un magnétophone posé dans la chambre ne capterait rien d'autre que mes doigts sur les touches, un léger cliquetis, quand dans nos têtes résonnent les voix d'une conversation ininterrompue, les nuances et les modulations de nos gorges et le claquement des langues contre les palais, les exclamations et les rires, et les interrogations muettes. » (Pascal, p. 100)
J'ai découvert avec plaisir une nouvelle voix, celle de Pascal Janovjak (8 des 12 passages que j'ai recopiés dans mon fichier de citations sont de lui), plaisir que je prolongerai par la lecture de son roman. Vive les rencontres...
La photo est de Robert Skinner, Cyberpresse.