mardi 6 septembre 2011

Les imperfectionnistes

Les critiques avaient été toutes plus qu'élogieuses et, comme journaliste (même si essentiellement pigiste), je me sentais interpellée par le propos du livre, mais j'hésitais. Serais-je déçue? Le buzz était-il surfait? Les semaines ont passé, sans que je ne cède à la tentation de l'acheter et puis, à un moment, je me suis dit que je n'avais qu'à le réserver à la bibliothèque et que je pourrais être fixée à moindre coût. Alors? Je l'avoue, j'ai craqué.

Les Imperfectionnistes est un premier roman extraordinairement efficace, entre recueil de nouvelles, galerie de personnages, magazine haut de gamme, dans lequel on découvre le quotidien de la salle de rédaction d'un quotidien de langue anglaise, établi à Rome. En chapitres indépendants mais qui se répondent (les personnages évoqués dans l'un interagissant avec la « vedette » d'un autre), on s'attache à ces personnalités fortes, du correspondant étranger complètement névrosé, incapable de se poser plus de quelques heures, au responsable des nécrologies dont une entrevue fera irrévocablement basculer la vie à la rédactrice en chef qui recroise un amour de jeunesse devenu attaché politique, sans oublier le directrice des ressources humaines qui risque fort de détester Atlanta après ce voyage au siège social des entreprises Ott ou Herman, le pointilleux correcteur qui publie son mensuel de bourdes et épluche avec attention chaque édition du journal.

« Milton fit le tour de l'équipe, serra des mains, mémorisa les noms. Il les connaissait déjà tous, en un sens - les journalistes, cette étrange espèce, n'avaient pour lui aucun secret, et il savait d'avance quel accueil ils réserveraient à ses discours. Les journalistes étaient plus susceptibles que des vedettes de cabaret et plus têtus que des ouvriers d'usine. Il ne pouvait s'empêcher de sourire. » (p.260)

L'auteur, lui-même journaliste, a bourlingué de Vancouver à Toronto à Paris (il a travaillé à l'International Herald Tribune, qui n'a sans doute rien à envier à la salle de rédaction italienne du roman), avant de se fixer (peut-être temporairement) à Londres. Il a connu l'effervescence des salles de rédaction, possède tous les outils nécessaires pour dresser des portraits dangereusement efficaces de ceux qui les habitent, et démontre qu'il possède un souffle qui lui permet sans contredit d'écrire plus de trois colonnes à la fois. Ses personnages sont souvent incompétents, doivent se battre contre le destin, ce qui les rend curieusement irrésistibles. Comment ne pas s'attacher à cette vieille timbrée qui lit le journal en différé (elle épluche les « actualités » de 1994 alors que l'action se déroule en 2007), cette responsable de la section économie à la réussite professionnelle éclatante mais qui décide qu'elle est prête à tout admettre de son amoureux, ce rédacteur en chef adjoint qui ne réagit pas du tout comme prévu lorsqu'il apprend que sa femme le trompe. Ils sont humains, profondément faillibles... mais totalement irrésistibles!

Tom Rachman pourra-t-il aborder un autre univers dans un prochain roman avec autant de maestria? On l'espère...


4 commentaires:

Venise a dit…

Ho Ho ... tu le vends, que tu le vends bien ce livre ! C'est mon genre de livre ajouté à ton enthousiasme palpable, j'achète.

Lucie a dit…

C'est en tout cas très bien fait! :)

dasola a dit…

Bonjour Lucie, j'avais tout le bien que je pensais de ce roman, le 3 mai 2011. Il se lit bien et on trouve dommage quand il se termine. Un auteur à suivre. Bonne après-midi.

Andrée a dit…

La structure de ce roman me plaît bien. Chaque personnnage apparaît sur "scène" et s'évapore ensuite.
Et puis ça nous oblige à réfléchir sur le sort des journaux papier.
Je l'ai choisi comme première lecture de cet automne pour un des clubs de lecture que j'anime.