samedi 31 mars 2012

Elle et nous

C'est jeudi soir, dans un resto du Vieux-Montréal, que Michel Jean a lancé son nouveau livre, Elle et nous, entre récit et biographie romancée, hommage à sa grand-mère innue. J'ai eu la chance de lire une version préliminaire du texte et serais bien incapable de proposer une lecture critique objective (bel oxymore que je viens de commettre ici!).

Encore une fois, je me suis laissée prendre au jeu et, quelques instants après avoir lu la dédicace, me suis replongée dans ce travail de mémoire, immédiatement happée par le propos. Au fil des pages, portées par un souffle évident, j'ai redécouvert cette femme forte, qui a aimé, parents, mari, enfants, petits-enfants, en marge peut-être d'une certaine société bien pensante mais sans jamais oublier ses racines.
« Je regardais ma grand-mère, sa peau cuivrée, ses yeux légèrement bridés, et je restais perplexe. Elle savait des choses dont je n'avais jamais entendu parler, moi qui avais pourtant toujours le nez dans un livre et que les autres élèves à l'école surnommaient « Tout connaître » pour se moquer de moi. Soudain, cette femme habituellement silencieuse et réservée me parlait d'un univers dont j'ignorais tout. Elle m'ouvrait une porte sur son monde. Et je trouvais cela fascinant. » (p. 94)

La nature des liens que Blancs et autochtones entretiennent me laisse presque toujours un goût très amer dans la bouche, qui me fait presque regretter mon statut de Canadienne privilégiée. Comment on ne semble pas capable de cohabiter de façon égalitaire sur un aussi grand territoire me dépasse entièrement. (Je ne saurais trop vous recommander le visionnement des quatre émissions du 8e Feu à ce sujet.) Les deux solitudes ne sont pas tant celles entre les pratiquants des deux langues officielles selon moi qu'entre ceux qui étaient là bien avant la conquête et ceux qui ont tenté de les transformer à leur image. Il se pourrait que mon sang soit en partie mêlé, ma mère étant née dans un village à côté d'Odanak, réserve abénaquis. Je ne le saurai peut-être jamais avec certitude mais, peu importe au fond, à travers la réflexion, les mots de Michel Jean, je sais que l'Indien, je l'ai en moi.

photo: Lucie Renaud
Je salue en terminant le magnifique travail de conception, jaquette (dont les rabats reprennent un motif innu) et couverture du livre étant travaillées de façon complémentaire.


vendredi 30 mars 2012

Se préparer pour la fête

Ne me cherchez pas demain entre 14 h et 21 h; je serai Chapelle historique du Bon-Pasteur (ou dans ses environs immédiats), histoire de vivre la totale: trois programmes différents, trois genres, trois raisons de célébrer les 30 ans de carrière de la pianiste Louise Bessette, à qui je voue un immense respect. Quatre créations d’œuvres de musique de chambre, un programme solo qui ferait frémir les plus intrépides, une conclusion en feu d'artifice avec le Sacre du printemps de Stravinski et les Visions de l'Amen de Messiaen pour deux pianos; j'ai hâte d'y être!

Grande voyageuse devant l'éternel, qui admet devoir tout voir et aimer goûter des choses qu'elle ne connait pas, aujourd'hui comme hier, elle aime évoluer ors des sentiers battus et privilégie en tout temps la découverte.  « J'avais envie de célébrer, m'a-t-elle simplement expliqué en entrevue. Avec le recul, je vois tout ce que j'ai réalisé, mais mon grand rêve est que ma bonne santé me permette de continuer pendant un autre 30 ans!  » On  ne peut que lui (et nous le) souhaiter!

Je vous reparle de l'événement, bien sûr...

Kent Nagano et Raymond Lévesque honorés




L'auteur-compositeur-interprète, poète, romancier et pamphlétaire Raymond Lévesque (à qui on doit notamment l'intemporelle chanson Quand les hommes vivront d'amour) et le directeur musical de l'OSM Kent Nagano ont reçu la Médaille d’honneur de l’Assemblée nationale hier matin. Cette distinction est décernée « à des personnalités de différents horizons qui, par leur carrière, leurs travaux ou leur engagement, méritent la reconnaissance de l'ensemble des membres de l'Assemblée nationale et de la société québécoise. » Félicitations aux deux artistes!

Photos : Collection Assemblée nationale, Clément Allard

mercredi 28 mars 2012

Tell me a tale

L'album est sorti la semaine dernière et, pourtant, on a l'impression en l'écoutant de ressortir un vieux long jeu usé. Michael Kiwanuka, jeune musicien londonien,élevé dans une famille modeste originaire de l'Ouganda, n'a que 24 ans, et pourtant, il pourrait bien devenir la prochaine sensation soul. « Je joue de la guitare depuis l'âge de 13 ans, compose depuis 16, et me consacre sérieusement à ce métier depuis que j'ai 20 ans. Ça semble faire longtemps, mais j'ai encore à m'y habituer », explique-t-il en entrevue. Souhaitons que sa carrière s'inscrive dans la durée.

Un premier album qui n'est pas parfait, mais qui convainc déjà.

lundi 26 mars 2012

La philosophie en hiver

« Ainsi, l’artiste erre, célébrant sa non-déité, coupable de brader ce trésor qu’est le temps, vaincu par l’irréductible saga de la réalité et de ses rejetons inquiets, livré à la douce et nocive illusion de la célébrité,  brève et stupide splendeur au-delà de laquelle la Terre, solennelle, l’engloutira au rythme de sa rotation. » 

Le livre de Ricardo Menéndez Salmon ne m'a pas séduite outre mesure, peut-être parce que l'auteur semble avoir un parti pris pour une certaine distanciation dans son propos. On peine à s'attacher à ce professeur un peu fou qui souhaite consacrer sa vie à Spinoza, souhaiterait en savoir plus sur le philosophe qui entre en scène (façon de parler) au moment de sa mort. Menées autrement, ces deux histoires qui se tissent l'une à l'autre auraient pu convaincre. Ici, on reste sur son appétit. Il reste une volonté de se réapproprier les pages de Spinoza et quelques images bien ficelées d'Amsterdam.
« Je t’ai vu grandir comme j’ai vu grandir Amsterdam, si ce n’est qu’à la place des  bijouteries, des immeubles neufs et des restaurants de luxe, le temps a peuplé ton visage de profonds sillons, de grimaces mauvaises, tentacules d’un architecte vil et méprisable… »

samedi 24 mars 2012

Les solidarités mystérieuses

En Bretagne, près de Dinard, Claire, une femme d'une quarantaine d'années traductrice de son métier, retrouve la région qui l'a vu grandir lors d'un mariage. Elle croise au marché son ancienne professeure de piano, avec laquelle elle vivra un certain temps, avant de s'installer dans la maison de ferme de cette dernière. Peu à peu, elle retrouve ses repères de jeunesse, mais aussi Simon, premier amour jamais oublié, devenu maire d'une commune avoisinante. Elle se détache entièrement de son ancienne vie, ne fera plus qu'une avec la nature, mais pourtant, se rapprochera de son frère, renouera éventuellement avec sa fille.

Au fond, il ne se passe presque rien dans le dernier roman de Pascal Quignard, peut-être bien son titre le plus achevé, certainement celui duquel se dégage la plus grande tendresse et que j'ai aimé sans aucune réserve. À petites touches, grâce à une série de circonvolutions, il raconte. Il chuchote plutôt cette histoire, à la fois semblable à tant d'autres et unique. On y perçoit surtout en tout temps une petite musique, presque insidieuse, et qui, pourtant, vous berce, vous apaise. Après quelques chapitres, le titre s'est déformé dans mon esprit, mon oreille interne même,pour devenir Les barricades mystérieuses de Couperin. Les barrières que nous érigeons pour nous protéger des autres (qui finiront ici par se fissurer) ne relèvent pas parfois du mystère le plus total?

La prose de Quignard reste finement ciselée, mais on n'y décèle aucune trace de la froideur esthétique de Villa Amalia ou du Salon de musique par exemple. « Dieu est vraiment le Verbe. Tout, sans exception, même le plus bas, une fois nommé, accroît son existence, accentue son indépendance, devient somptueux. » Au deux tiers du roman, je me suis surprise à ralentir mon rythme de lecture, souhaitant prolonger le plus longtemps possible ces instants d'intimité. C'est un signe qui ne trompe pas.

Une autre citation en partage:
« Les femmes ne sont pas vraiment sensibles à la beauté invraisemblable de leur sexe.
Les femmes ne séduisent pas non plus les hommes pour mettre la main sur leur pouvoir, ni pour l’exercer en sous-main, ni pour les domestiquer, ni pour prendre leur argent, ni pour acquérir ce qu’elles convoitent.
Les femmes ne veulent même pas des enfants des hommes qu’elles étreignent afin de les reproduire, ni pour se reproduire elles-mêmes, ni dans le dessein d’assouvir leurs vengeances en lançant leurs petites à la conquête du monde.
Les femmes n’attendent même pas des hommes des maisons où s’ennuyer auprès d’eux et d’y vieillir.
Les femmes ont besoin des hommes afin qu’ils les consolent de quelque chose d’inexplicable. »

jeudi 22 mars 2012

Carré rouge

J'admets qu'il y a un mois, j'étais ambivalente. Ayant étudié pendant trois ans aux États-Unis, je peux témoigner que la facture était alors fort salée, malgré les bourses et les heures passées à accompagner la chorale de l'Université ou des classes de chant. Une fois à la maîtrise, refusant l'endettement, j'ai travaillé quatre soirs par semaine comme secrétaire dans une clinique médicale, à taper des rapports, développer des rayons X et accueillir des patients parfois plutôt hurluberlus.

Aujourd'hui, 22 mars, journée de la grande manifestation, excédée par le message que le gouvernement s'entête à transmettre à nos jeunes, je porte sur mon sac le carré rouge. Que les frais de scolarité soient haussés peu à peu, soit. Qu'on les fasse bondir de la sorte en trois ans, non. J'en ai assez d'entendre que les universités n'ont pas d'argent. La vérité: la majorité des sommes recueillies sont versées à la recherche, principalement scientifique. Je vous invite à visionner quelques clips assez dérangeants ici...

Ce qui m'agresse le plus dans le dossier reste cette vigueur avec laquelle le gouvernement clame sans arrêt que ce mouvement de protestation ne sert absolument à rien, que la décision est prise, laissant sous-entendre que les étudiants sont des enfants gâtés. Dans une société qui se dit démocratique, cette attitude fermée me révolte. Que plusieurs applaudissent les propos mous de la ministre de la culture à l'émission hebdomadaire Tout le monde en parle, aussi. Bien sûr, le monde n'est ni noir ni blanc. N'empêche, aujourd'hui, j'ai choisi de m'indigner, en espérant que la manifestation ne donnera pas lieu à des incidents regrettables, ni d'un côté ni de l'autre.

Un côte-à-côte intéressant dans le quotidien La Presse ce matin. Rima El-Khoury se prononce contre la hausse des frais de scolarité; Yves Boisvert, pour.

mardi 20 mars 2012

Je la voulais lointaine

« Longue et lente, la vie, comme un voyage, comme un livre soudain, tout s’accélère, à l’image de ce taxi-brousse qui fonce, se rapproche du but, ou comme ces livres encore dont, retrouvant la naïveté de l’enfance, on tourne plus fiévreusement les pages quand on approche du dénouement. » 
En cette journée internationale de la francophonie, une envie de partager mes impressions, une fois refermé le neuvième roman de l'écrivain camerounais Gaston-Paul Effa, Je la voulais lointaine. Récit d'apprentissage et d'exil, de quête du soi et de redécouverte des racines, ce livre raconte l'histoire d'Obama, petit-fils de féticheur qui, à la mort de son ancêtre, a reçu en héritage le sac totémique de la tribu, objet dont il n'a pas voulu ou su assurer la garde et plutôt enterré sous un arbre. « Partir, fuir ce village, partir le plus loin possible, disparaître »; il quitte le continent africain et, comme Effa lui-même, poursuit des études brillantes en France.
« Cette langue qu’enfant j’avais apprise, pas un instant je ne songeai à la renier malgré les moqueries de mes camarades et de mes professeurs, pas un instant je ne doutai d’elle : quelque chose s’opposa sur-le-champ à ces façons nouvelles de dénaturer la langue que j’entendais. »
Devenu professeur de philosophie, ayant écrit un roman, suite à un incident pédagogique, il réalise qu'il ne peut renier ses racines, que la voix de son grand-père continue de l'habiter: « Il s’était associé à ma vie, m’avait aspiré comme un souffle, avait coulé en moi comme la sève. » Il décide de retrouver le Cameroun, de se prouver qu'il saura être à la hauteur du secret des origines transmis, qu'un pont peut s'ériger entre hier et demain, sol natal et terre d'adoption, aliénation et nécessité pour l'ancien colonisé de se réapproprier son histoire. 
« Je pouvais enfin nouer les fils de ma vie : le noir de mes origines au blanc de ma destinée. »
Toute en ellipses, poétique, musicale, d'une grande tendresse, souvent somptueuse, l'écriture de Gaston-Paul Effa se laisse découvrir par strates, un paragraphe, une respiration à la fois. Incantatoire, elle favorise une appropriation impérative de l'imaginaire, tout en s'inscrivant dans une réaffirmation consciente de la puissance de la langue française. Geste de résistance et non pas de conquête.

L'auteur dit lui-même en entrevue: « Oui, la francophonie est la langue française qui bat dans un corps étranger. Les écrivains francophones ont un sentiment de la langue plus aiguisé que certains français. Ils s’approprient cette langue, la dé-construisent, lui donnent des coups de bec et permettent bien souvent aux Français de redécouvrir leur langue dite maternelle. L’écrivain francophone est donc un passeur de mots, un passeur de sens. »

Voilà un auteur dont j'aurai plaisir à découvrir les autres titres.

lundi 19 mars 2012

C'est le printemps

Oui, le mercure est passé de -5 à +20 dans un clin d’œil ou presque. J'avais oublié combien lire dehors pouvait relever de la pure jouissance. J'en ai donc profité hier pour terminer le dernier Quignard (je vous en reparle bientôt) et lire quelques exemplaires du New Yorker qui s'ennuyaient ferme sur ma table à café depuis quelques semaines (dont un article fascinant sur l'installation vidéo de 24 heures de Christian Marclay, « The Clock », que l'on peut voir ces jours-ci à Ottawa).

Côté musique, je pourrais vous proposer quelques évidences. Que nenni! Plutôt une petite page de Bach, relue par Rachmaninov, interprétée avec grande délicatesse par Daniil Trifonov, à qui l'on ne peut que souhaiter une longue carrière.

 

samedi 17 mars 2012

Pianiste collaborateur

La nature de mon instrument fait que ma relation avec lui se vit en général dans la solitude. Je m'assois (le plus difficile reste de s'en convaincre, après, cela va tout seul), je travaille, je répète, je fustige, je décortique, je trouve des façons de contourner le problème, je le règle si tout va bien (sinon je sors mon langage grossier), puis j'aborde une nouvelle section. Oui, vingt (mille) fois sur le métier, remettez votre ouvrage. Question d'habitude, de discipline, on s'y frotte et on s'y fait.

Et puis, parfois, heureusement, il y a le plaisir du partage: quand je présente une nouvelle pièce à un élève, quand un(e) ami(e) me demande de lui jouer une page en particulier ou me laisse carte blanche et, bien sûr, quand je dois jouer en concert. J'ai réalisé à l'âge de 14 ans que j'aimais jouer avec un(e) autre. L'idée de diviser la pression par deux, par trois, par quatre, m'a tout de suite séduite, mais aussi les heures de répétition préparatoires en commun, moments qui permettent d'essayer de nouvelles approches, de réfléchir à une interprétation de façon commune, de rigoler bien souvent. Sans oublier le simple plaisir de réellement dialoguer à travers les instruments.

Mardi dernier, je jouais en concert avec un saxophoniste, que je connais depuis des lustres. Nous ne sommes pas réellement amis; quand nous ne jouons pas ensemble, nous ne nous écrivons pas, nous parlons rarement. Pourtant, à force de le fréquenter en répétition et sur scène, j'ai appris à le connaître. Sa fixation pour le métronome m'a horripilée pendant un temps; maintenant, elle me fait sourire. Depuis le temps, il a compris que, le jour du concert, il devra de toute façon se fier à mon sens de la pulsation plutôt qu'à un tic-tac mécanique. Ses expressions pourraient parfois sembler manquer de fini; pourtant, je sais combien il est cultivé. Il n'aime rien tant que de parler d'interprétations remarquables, de pureté de sonorité, des grands instrumentistes d'aujourd'hui, mais aussi du passé. Il a lu tout Dostoïevski, aime marcher sur le bord du Richelieu. Quand il fait de l'insomnie, il écoute des vidéos de musique classique. Mais surtout, quand il approche son instrument de ses lèvres, il se transforme illico en musicien. Il lui arrive de rater une entrée parce qu'il m'écoute trop attentivement. Il s'impatiente contre lui-même quand une note grave ne sort pas correctement ou que son anche se révèle pâteuse. Il ricane quand mes doigts s'emmêlent, mais jamais méchamment.

Lors de la répétition pré-concert, nous avons retrouvé la Sonatine (écrite à l'origine pour violon) de Schubert. Dès la première lecture l'année dernière, nous étions sur la même longueur d'ondes. Aucune hésitation au niveau des respirations, les contrastes s'établissaient d'eux-mêmes, les rubatos ne semblaient jamais artificiels. Certains pourraient considérer l’œuvre moins importante dans le catalogue du compositeur, mais j'aime la façon dont elle nous unit,  nous permet de dialoguer à cœur ouvert, d'aplanir tout différend, de transmettre la beauté pure du langage. Nous avons terminé le premier mouvement et il n'a pu s'empêcher de s'exclamer: « C'est l'fun de faire de la musique! » Je me suis contentée de sourire...



Une des œuvres au programme de ce concert... Le troisième mouvement est ici.

jeudi 15 mars 2012

Éloge de la fuite

Repartir à zéro. Parce que le cœur a été fatalement touché, que l’on croit pouvoir changer le monde, que l’on veut s’étourdir et oublier, que l’on ne sait plus qui l’on est. Le numéro courant de La Recrue du mois pourrait être perçu comme un éloge de la fuite.

Dans La saison froide de Catherine Lafrance, notre recrue, la narratrice tourne le dos à une relation amoureuse qui ne va nulle part en pleine canicule, pour s’installer à Yellowknife. « Si l’on est d’abord crispé, comme lecteur, face à la déprime ambiante du récit, à sa narratrice qui semble passer son séjour dans le Nord avec une perpétuelle gueule de bois, on finit par se détendre, et ressentir une sorte de dégel dans le climat aride, une acclimatation à l’image de celle que vit la narratrice dans le Grand Nord », explique Luba, nouvelle collaboratrice à qui je souhaite la bienvenue. Pourquoi aborder le Nord mythique?  L’auteure le connaît pour y avoir vécu, travaillé, tenté de comprendre les réalités qu’elle dépeint ici. Elle nous confie dans le questionnaire que le point de départ de l’écriture « peut être n'importe quoi; un mot qui résonne en nous d'une façon qui nous fait tiquer, une phrase, une situation, un personnage.  Peu importe la façon dont ça se manifeste, l'inspiration première, puisque c'est de cela dont il s'agit, est surtout un sentiment, une émotion.  »

Nous vous proposons également ce mois-ci un exercice de lecture comparée.  Jugeant le thème de la fuite trop fertile peut-être, nous avons offert à deux collaborateurs que tout pourrait séparer en apparence de se pencher sur Maté d’Isabelle Baez, premier roman qui traite de militantisme, de géopolitique, d’exploitation des ressources naturelles et des humains. Le premier est né au Rwanda, la seconde au Québec, mais tous deux ont choisi de consacrer un certain nombre d’années à l’étude de la littérature. Vous constaterez comme moi que le regard qu’ils portent sur le livre ne se veut pas en opposition, mais plutôt en complémentarité. Rémy-Paul se penche sur la justification d’un geste. « Pourtant, il ressort de ce voyage des doutes. En effet, l’auteure ne se propose pas de répondre à ce qui peut-être fait pour rendre justice. Elle ne célèbre pas un “jour de justification” où les révoltés deviendront les justes. D’autant plus que ses personnages ne semblent pas convaincus par leurs actions. Ils avancent dans le noir, les mains tendues, en espérant ne pas trop se blesser. » Caroline remarque quant à elle comment l’auteure a su marier la grande et la petite histoire. « Le contraste entre les enjeux altermondialistes et les drames personnels demeure malgré tout  passionnant : autant l’histoire se déploie, autant elle se referme sur l’intime. Maté, c’est surtout l’histoire d’une amitié, née dans un camp de vacances, dont il ne reste bientôt que le souvenir ou le fantasme, et qui ne résistera pas à la divergence des choix de vie. »

Un recueil de poésie, Le bruissement des possibles et trois romans de pure évasion complètent nos choix de lecture ce mois-ci : Madame Tout-le-monde, saga familiale et historique, ainsi que deux livres de chick lit ayant su convaincre leurs lectrices, le premier tome de La vie épicée de Charlotte Lavigne de Nathalie Roy (on imagine que le deuxième, lancé récemment, poursuivra sur une même veine) et Désirs, vertiges et autres folies d’Elisabeth Locas. François Désalliers revient quelques instants sur la publication de son premier roman, publié en 1999, Amour et pince-monseigneur, ode non pas à la fuite, mais plutôt à l'amour, à l'amitié et à la littérature.  Au fond, ne sont-ils pas synonymes?

Le numéro de mars est en ligne ici...

mardi 13 mars 2012

Louise Bessette: regarder vers l'avant

Peu d’interprètes défendent la musique de notre temps avec un sérieux aussi irréprochable que la pianiste Louise Bessette, qui soulignera ses trente ans de carrière en offrant, lors d’une même journée, non pas un, mais trois programmes différents. Biographie étoffée, critiques dithyrambiques, discographie riche d’une vingtaine d’enregistrements, organisation remarquée de l’événement Automne Messiaen 2008; ce parcours en apparence sans faute peut facilement intimider.

Pourtant, deux minutes en sa présence suffisent pour comprendre que, si elle respire l’air parfois raréfié de la création, elle n’éprouve aucune difficulté à s’incarner dans le quotidien. Absence de faux-semblant, de circonvolutions, de phrases creuses, énergie plus que contagieuse : son regard brille comme celui d’une enfant qui s’apprête à souffler ses bougies d’anniversaire et son rire franc balaie tout sur son passage.
On ne lui donnerait pas plus de 40 ans; pourtant, selon l’Encyclopédie de la musique au Canada, elle est née à Montréal en 1959. Sa grand-mère maternelle et sa mère ayant toutes deux occupé le poste d’organiste de l’église de la Visitation, il semble naturel de proposer à la petite Louise, cinq ans, de s’initier au piano. Admise au Conservatoire de musique de Montréal en 1971, elle y accumulera cinq premiers prix, sous la tutelle de Georges Savaria puis Raoul Sosa. Ce dernier la fera tout naturellement basculer de la Sonate de Berg à la « Première communion de la Vierge » (tirée des Vingt regards sur l’Enfant-Jésus) de Messiaen. « Je n’en sentais pas la complexité », dit-elle, comme si le choix avait alors relevé de l’évidence. Elle était néanmoins consciente que les autres pianistes lui enviaient déjà la facilité avec laquelle elle apprivoisait ces œuvres.

samedi 10 mars 2012

C'est quand le bonheur?

 « Je ne sais pas combien de questions je peux me poser sur lui. Je ne sais pas combien de réponses je peux donner. Je sais seulement qu'il fait partie de ma mythologie. » 

Quand un livre, une écriture nous envoûtent, on a envie de lire d'autres titres de l'auteur. C'est pourquoi lors d'un récent passage en bibliothèque, j'ai fait un détour par la section des DEL pour récupérer un autre roman de Martine Delvaux, son premier, publié en 2007. J'ai pris le livre sans réfléchir, sans consulter le quatrième de couverture.

Avec un titre pareil, j'imaginais une autre histoire d'amour trouble ou troublante, mais j'avais tout faux... Ici, très peu de passages sombres, de déchirements, de ressentiments. L'auteure a choisi de célébrer le lien particulier qu'entretiennent la narratrice et son meilleur ami. Autofiction? Récit? Aucune importance. Quiconque a (eu) le privilège de vivre une telle relation s'y reconnaîtra: les revirements de statut (d'ami à amant à ami), les petites manies que l'on accepte sans broncher, peut-être parce que, justement, on ne les vit pas au quotidien, les secrets échangés, les silences complices, les larmes, les fous rires, les conversations philosophiques, les délires superficiels.

Elle le soutient quand il doute; il célèbre sa maternité. Elle écrit sur lui; il se moque d'elle. Le bonheur, au fond, n'est-ce pas ces petits riens qui s'additionnent, qui n'ont de réelle signification que parce que nous avons pu partager avec l'ami cher une angoisse, une exaltation, une lecture, une réalisation?
  « Quand, aujourd’hui, je me passe le film de ce que serait ma vie sans lui, je dérive vers le large, comme si j’avais perdu l’ancre qui me retenait dans la nappe du temps.
Il est garant de ce qui peut m’arriver, tout comme il a été le témoin de passé.
Il est le seul à avoir ainsi vu se dérouler ma vie. Il est le seul qui pourrait la raconter au complet. »

À savourer tout doucement, en pensant à celui ou celle qui nous comprend, qui ne juge jamais, qui sera toujours là, avec qui l'on ne craindra jamais de se voir vieillir.

jeudi 8 mars 2012

Apprendre

Mon horaire d'enseignement étant modulé autrement cette semaine, j'ai pu libérer deux fins d'après-midi et inverser les rôles. Plutôt que de jouer à la police des fausses notes ou des intentions musicales déficientes, j'ai choisi de passer quatre heures en compagnie de Johann Sebastian Bach, celui de Gilles Cantagrel. En sortant de la première conférence, j'étais déjà en train de texter fébrilement quelques étudiants et amis, histoire de  les convaincre de la nécessité de se glisser en salle le lendemain. (Au final, j'aurai convaincu une étudiante à la retraite, qui m'a remercié de mon insistance.)

Après près de deux heures à explorer la pré-histoire de l’œuvre (ce qui a inclus quelques incursions dans les domaines de la physique et de l'astronomie!), nous avons plongé dans les pages mêmes de cette immense somme. En deux jours, j'aurai griffonné quatre pages, non pas de notes en tant que telles, mais de repères, de questionnements, d'affirmations, de pistes de réflexion. 

Celui que Cantagrel ose appeler affectueusement l'« intellectuel voluptueux » n'a pas fini de m'éblouir, de m'élever en tant qu'interprète, pédagogue, passeuse. De baigner de façon concertée, concentrée, dans l'univers de Bach en compagnie de son ami cher (parce qu'on sent combien le musicologue aime profondément Bach l'homme et non seulement le compositeur) m'a fait réaliser combien, même lorsque l'on pense connaître quelque chose - ou quelqu'un -, au fond, on ne sait rien.

Souhaitant démontrer comment certaines tonalités transmettaient les particularités d'un affect, d'une « passion de l'âme » comme on les appelait alors (ah! ce mélancolique si mineur!), Cantagrel a choisi de nous faire écouter quelques fugues que je ne connaissais pas intimement (parce que, non, je n'ai pas joué - encore - les 48 préludes et fugues). Une révélation dans certains cas, tant ces œuvres sont profondément modernes et se rapprochent plus qu'on ne saurait le croire des avancées de Schoenberg. (Ainsi, ce thème de la 24e fugue du premier cahier, qui fait entendre les douze demi-tons de la gamme, brillante démonstration de ce que le tempérament « adouci » permet de réaliser.)

Les entendre au clavecin m'a aussi fait prendre conscience d'un seul coup que l'on  pouvait prendre le temps d'exprimer un thème, que l'on n'avait pas besoin de jeter de la poudre aux yeux quand on amorce un prélude, combien il est inutile de privilégier une pulsation métronomique avec les élèves. En effet, l'instrument proscrit de par sa nature toute rigidité rythmique, l'expressivité du texte pouvant se réaliser essentiellement à travers des retards et des accélérations de tempi.

Aucun doute dans mon esprit: si je devais partir sur une île déserte avec une partition, une seule, ce serait l'intégrale du Clavier bien tempéré. Je n'aurai jamais fini d'en faire le tour et c'est tant mieux.

mardi 6 mars 2012

Une fugue au musée

C'est peut-être semaine de relâche pour les plus jeunes, mais certainement pas une raison pour que les plus grands laissent leur cerveau ramollir. En marge de l'exposition Feininger (qui comprend plusieurs toiles fort intéressantes et une pièce consacrée aux liens entre musique et peinture, le peintre et caricaturiste étant également compositeur), le Musée des beaux-arts de Montréal vous propose de faire une fugue au musée. Conférences et concerts multiples attendent les curieux. Aujourd'hui et demain 17 h, Gilles Cantagrel propose notamment deux conférences intitulées « Le Clavier bien tempéré: un traité des passions ». Non, bien sûr, il  ne s'agit point ici de ce blogue, mais de la somme phénoménale signée par le grand Johann Sebastian Bach. J'y serai bien sûr. En prolongement, on offrira l'intégrale des deux livres vendredi et dimanche, chaque programme de 12 préludes et fugues (qui juxtaposeront les œuvres des deux cahiers) étant défendu par deux interprètes, qui joueront les œuvres au pianoforte, au clavecin, à l'orgue et au clavicythérium (ou clavecin vertical).

Le 8 mars 14 h, activité ludique qui devrait ravir petits et grands, la SMCQ reprend Le téléphone bien tempéré, œuvre de Walter Boudreau et Yves Daoust créée l'année dernière au festival MNM pour quintette à vent, clavecin, orgue, électronique et... téléphones cellulaires. Comme l'objet est devenu, qu'on le veuille ou non, élément indélogeable de notre paysage sonore contemporain, les compositeurs ont eu l’idée de l'intégrer  dans une page inspirée du célèbre premier Prélude et fugue du Clavier bien tempéré de Bach. Vous êtes invités à y participer, bien évidemment muni de votre téléphone! Des images de la création de l'année dernière.
Apportez vos cellulaires from JEREMIX on Vimeo.

lundi 5 mars 2012

Sur le sable

 « Le rire de Giorgio faisait écho au solo monotone dont j’étais tout à la fois complice et prisonnière, ballottée dans plusieurs temps qui tissaient peu à peu une trame en apparence illisible, laissaient surgir des images qui mouraient très vite dans la nuit, traînées lumineuses, éphémères, que j’étais seule à percevoir ou qu’il devinait peut-être lorsqu’il m’interrogeait du regard. »


Michèle Lesbre, Sur le sable

Un texte un peu déroutant mais qui fait mouche, à la narration fragmentée, troublant hommage aux romans de Modiano.


le baiser de modiano par jmjp

samedi 3 mars 2012

La tombée du jour

Parfois, quand on met un livre dans son sac, on ne réalise pas sur le coup la portée de son geste. J'étais à la Bibliothèque nationale, histoire de ramasser des informations qui m'aideraient à rédiger des notes de programme et suis tombée, sur un rayonnage voisin, sur ce que je croyais être une biographie de Schumann. Je suis en préparation pour une nouvelle conférence, non pas pré-concert, mais présentée fin avril dans le cadre d'un colloque consacré à l'autofiction francophone,  sur un sujet peut-être un peu champ gauche: « La musique de concert comme véhicule de l'autofiction. »

Ma prémisse? À travers l’évocation de quelques œuvres-clés  et des exemples musicaux ciblés, je tenterai de démontrer que les frontières entre autobiographie et fiction avaient déjà été estompées bien avant 1977 et Doubrovsky par les compositeurs classiques. L'élément déclencheur de cette proposition? Schumann. Alors que je travaillais ses Fantasiestücke, j'ai réalisé que, s'il y avait un compositeur qui faisait de l'autofiction de façon assumée, c'était bien celui-là. Êtres chers qui deviennent personnages de pièces, personnalités du compositeur qui prennent tour à tour possession d'une page, lettres (représentant un lieu, une personne) dissimulées dans un thème, la liste de recours que l'on pourrait considérer littéraires sont multiples - et c'est peut-être bien pour cela que ce cher Robert fait partie de mon triumvirat.

Mon meilleur ami m'a tant vanté Musiques de nuit que lorsque j'ai vu le nom de Michel Schneider apposé à celui de Schumann, je n'ai pas hésité. Je me suis dit qu'il pourrait peut-être proposer un regard autre sur le compositeur. J'étais loin de me douter que je deviendrais complètement happée par cet essai, certes très spécialisé, truffé de références bibliographiques et musicales. Il revient sur la folie de Schumann (son livre s'ouvre d'ailleurs sur la tentative de suicide du compositeur), tente de la définir, de tracer la fine ligne entre douleur et souffrance. Il plonge aussi dans l’œuvre, en expose les rouages, exemples musicaux précis à l'appui. On sent que Schneider aime Schumann, qu'il le comprend, de l'intérieur, car il s'est approprié sa musique pour piano, probablement en tant qu'interprète.
« La vie, le passage terrestre sont choses qui ne se possèdent pas, mais relèvent d’une dette. Ainsi de la musique de Schumann. Plus que toute autre, pour le pianiste qui la joue, elle est quelque chose qu’il ne possède pas, qu’il ne cesse de s’approprier, convaincu que la dette ne sera jamais acquittée. »

En me glissant dans les mots de Schneider, j'ai eu quelques révélations, sur la façon d'aborder certains thèmes des Fantasiestücke par exemple, sur la nuance bien particulière entre humour et humeur contenu dans le même vocable allemand Humor (que j'avais toujours trouvé ambigu dans les partitions), sur le fait que, même si je ne l'avais jamais admis, jouer Schumann n'est jamais synonyme de joie. Pas que l'opération soit désagréable, loin s'en faut mais, en effet, Schumann n'est jamais gratifiant pour les doigts, on ne peut jamais se rattacher à un trait de virtuosité efficace (comme chez Liszt), à un traitement en arpèges ou en accords brisés flamboyant (comme chez Beethoven), au plaisir de sentir sous ses doigts défiler de façon limpide des doubles croches (comme chez Mozart).

« Si l’on voulait résumer le trait essentiel de la musique pour piano de Schumann, on pourrait dire que la notion de mouvement n’y est jamais objective (elle ne l’est jamais absolument, même chez Bach), mais qu’elle est plus psychologique qu’esthétique. Plus que chez aucun compositeur, les mouvements sont mouvements de l’âme, inséparables du temps interne du musicien – ou de l’interprète -, dictés par une sorte de pulsation dans laquelle la subjectivité cède à l’inconscient. »
Mon but premier (étayer ma thèse) n'a été que partiellement atteint. Certes, j'ai recopié quelques passages sur les lettres qui se glissent dans l'une ou l'autre des pièces de Schumann, qui me permettront d'articuler mon propos, mais cette lecture est allée bien en-deçà de la collecte d'informations. Pour la première fois de ma vie peut-être, j'ai eu une folle envie de m'approprier un livre, de surligner certains passages, d'y laisser une part de moi. Je sais qu'un jour, j'y reviendrai, qu'il faudra que je me le procure, qu'il aura sa place dans ma bibliothèque de biographies de compositeurs. En rapportant le livre à la bibliothèque tout à l'heure, j'ai eu du mal à m'en défaire. J'ai considéré l'échanger contre le dernier roman de Schneider, mais je me suis dit que je ne pouvais pas, pas encore, que ces mots-là devaient encore vivre en moi avant d'être remplacés par d'autres.

vendredi 2 mars 2012

Complicité

Depuis que je suis tombée plus ou moins par hasard (merci aux suggestions de Youtube!) sur cette improvisation conjointe de Richard Bona et Bobby McFerrin, enregistrée au Festival de jazz en 2006, j'y reviens. Mais où étais-je donc ce soir-là pendant que ceux présents étaient témoins de ce véritable moment de magie? Peu importe l'endroit, je n'étais certainement pas en train de vivre un tel bonheur. Une véritable leçon d'écoute et de poésie, donnée par deux grands artistes...