Mardi soir, il fallait s'inventer d'excellentes raisons pour oser affronter de nouveau le froid mordant et amorcer un énième trajet vers la Maison symphonique de Montréal, mais ce n'est pas tous les jours qu'un orchestre étranger s'arrête ici. Et si? Un mouvement de la Suite pour orchestre de variété de Chostakovitch a suffi pour convaincre que la soirée deviendrait mémorable. Une fois le dernier accord de la Danse no 1 dissipé, quatrième des extraits proposés par la phalange hongroise, on avait déjà envie de crier « bravo »: un tempo nerveux mais parfaitement calibré, un ensemble renversant, un quatuor de cors qui semble un même instrument magnifié par quatre souffles, des doubles-croches limpides et parfaitement articulées en toutes circonstances, mais surtout un plaisir contagieux à partager ces piécettes, qui ont pris tout à coup une nouvelle profondeur.
La violoniste néerlandaise Liza Ferschtmann (ayant remplacé Janine Jansen à quelques jours du début de la tournée de l'orchestre) a ensuite offert une version d'une grande intériorité de la Sérénade de Bernstein. Si, dans les premiers mouvements, on a eu l'impression qu'elle cherchait ses repères acoustiques, toute réserve a été oubliée lors d'un bouleversant « Agathon » (dialogue mémorable avec le premier violoncelle solo) et d'un éblouissant « Socrates; Alcibiades ». En cadeau, tant aux musiciens de l'orchestre (Montréal se voulant le dernier arrêt de cette tournée) qu'au public, elle a joué sur des variations presque infinitésimales de pianissimo, suspendant le temps - et le souffle de ceux présents -, dans le mouvement lent de la Sonate pour violon seul de Bartók.
L'après-entracte était consacré à la monumentale Deuxième Symphonie de Rachmaninov, écoutée de façon compulsive lorsque je l'avais découverte lors de ma première année d'université. Fischer a transmis de mémoire une œuvre dont il connaît à l'évidence les moindres rouages, mais surtout, à laquelle il semble vouer un amour réel. Le deuxième mouvement a été tour à tour démoniaque et romantique, le fugato devenant un discours d'une rare intelligibilité. Le thème de la clarinette de l'Adagio qui a suivi a pris une densité presque palpable, comme si le musicien sculptait le son avec délicatesse, les libertés métronomiques prises (justifiées) devenant prolongement d'un souffle naturel. À plus d'une reprise, la musique m'a traversée entièrement et, pour la première fois peut-être lors d'un concert symphonique, j'ai ressenti la nécessité de lâcher prise entièrement (geste difficile quand le métier nous pousse à analyser - suranalyser souvent - ce que l'on entend) et senti que les larmes pourraient monter.
Après un tel concert, je suis sortie dans le froid, sans trop rechigner, encore enveloppée des sonorités entendues, les oreilles assainies, l'âme grande ouverte. Une soirée magique, presque mystique. Lors d'un prochain voyage en sol européen, un détour par Budapest s'imposera peut-être bien de lui-même.
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