samedi 15 mars 2008

Parfum de poussière: poussière de rage


Voyage au plus profond de l’enfer, celui de la guerre, de la haine, de l’indifférence, de soi, ce premier roman signé Rawi Hage est d’une force et d’une portée remarquables. Dans une langue directe mais imagée, sise à la frontière entre les films d’action américains et les récits fantaisistes, très peu linéaires, des pays arabes, Hage nous plonge dès les premières pages dans un univers étouffant, malsain, où la guerre devient toile de fond plutôt que sujet, où l’horreur perle au quotidien. Malgré les dix mille bombes qui s’abattent sur Beyrouth, la vie poursuit son cours, tout sauf un long fleuve tranquille, les histoires du quotidien tentant de s’extraire de l’Histoire. Des liens se tissent : amitié fraternelle à la limite du passionnel entre Bassam et son ami Georges – surnommé de Niro –, histoire d’amour (pour elle), de peau (pour lui) entre Bassam et Rana, relation trouble entre le narrateur et Rhéa en troisième partie. Des vies sont transformées, irrévocablement, sous nos yeux. Tout est décuplé par la puissance de la guerre, par l’écriture sculptée de l’auteur. « Dans les rues désertes, les maisons paraissaient voilées, étranges. Le sang de la petite fille coulait sur mes doigts et le long de mes cuisses. Je prenais un bain d’hémoglobine. Le sang est plus sombre que la couleur rouge, plus doux que la soie; sur la main, il est chaud comme l’eau d’un bain avec du savon. Ma chemise se teignait de pourpre royal. Je criais, j’appelais la petite fille par son nom, mais ma chemise buvait son sang; j’aurais pu la tordre et remplir la mer Rouge, y plonger mon corps, la revendiquer, faire le tour de ses bords et me baigner dans son soleil. » (p. 29)

Au fil du récit, le ton change, les enjeux se précisent. Quand on peine à respirer tant les images suscitées par l’auteur sont puissantes, Hage nous offre un répit, accalmie entre deux pluies de roquettes. Quand on pense devoir décrocher, incapable de pouvoir avaler une ligne de plus de violence, il nous fait basculer vers d’autres profondeurs, celles du doute, de l’incompréhension, de l’intolérance. Quand Bassam fuit le Liban et se réfugie à Paris, on pousse d’abord un soupir de soulagement pour se rendre compte que, même si en apparence plus subtile, la violence suinte encore entre chaque ligne. En inscrivant L’Étranger de Camus en filigrane de cette dernière section, Hage nous permet de jeter un œil nouveau sur le récit. Comme Meursault, Bassam est étranger à la société, erre pendant de longues journées, est en marge de sa propre vie, refuse de jouer le jeu. C’est peut-être là finalement où ce roman m’a rejoint le plus et ce qui explique que ces personnages fictifs continuent de me hanter, plusieurs jours après avoir refermé le livre.

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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