mercredi 28 mai 2008

CMIM: une grande gagnante


Deuxième et dernier soir de finale hier, Théâtre Maisonneuve. La salle est bondée et, même avant le début des prestations, les supputations vont bon train. Restée sur ma faim la veille, je misais sur Nareh Arghamanyan, dont la sensibilité m'avait émue dans sa Deuxième Ballade de Liszt en quart de finale (je l'ai réécoutée deux fois en boucle!) et dont son sens de l'architecture m'avait séduite dans son opus 110 de Beethoven. Je n'aurai pas été déçue même si, au moment où elle s'est avancée sur scène, je commençais à croire que les membres du jury possédaient certainement des oreilles (ou du moins une grille analytique) différentes des miennes.

L'Américaine Elizabeth Schumann, que tout le monde semblait a-do-rer mais dont les Scènes d'enfants manquaient selon moi totalement de poésie en demi-finale et qui s'était perdue de façon assez remarquable (et surprenante dans un concours de ce niveau) dans son Wigmund de Schumann-Liszt (elle avait fini par se fâcher et jouer toute une section fff!) nous a offert un Premier Concerto de Chopin absolument inutile, dénué du bel canto le plus élémentaire. (Chopin devait pleurer hier soir dans sa tombe, moi, en tout cas, j'ai souffert.) Privilégiant des articulations démesurées plutôt que de phraser grand, laissant défiler des double-croches de façon purement mécanique, manquant de subtilité (le troisième mouvement n'aura jamais été aussi peu dansant), Schumann a démontré qu'elle était peut-être une machine à notes remarquable dans les œuvres complexes techniquement (son Etude Fantasy de Corigliano par exemple) mais qu'il lui manquait la poésie nécessaire à un tel travail d'orfèvre. À un moment, j'étais suffisamment dépitée pour laisser mon esprit dériver et là, bang, encore une fois, elle s'est perdue de façon spectaculaire. L'orchestre a mis les freins en catastrophe, le chef Jean-Marie Zeitouni a jeté un regard interrogateur mais compatissant et tout le monde a fini par terminer en même temps.

Le Russe Alexandre Moutouzkine n'avait pas beaucoup à faire pour renverser le public. Il a démontré une spectaculaire maîtrise technique dans les passages de virtuosité brute (nombreux) du Troisième Concerto de Rachmaninov et a plongé dans l'œil du cyclone sans férir. Le premier thème a semblé un peu fade, les fff manquaient d'une rondeur évidente, le phrasé était à l'avenant mais il a su transmettre une belle intensité dans le deuxième mouvement et emporter le public dans le fiévreux troisième mouvement. Une interprétation digne d'un athlète olympique: plus vite, plus fort, plus pyrotechnique. Pour moi, il était devenu « le meilleur des pires » et sa présence en finale démontrait que le jury avait choisi de privilégier une grosse technique à une subtile musicalité.

Nareh Arghamanyan, la toute jeune candidate arménienne (19 ans), s'est enfin avancée et dès les premiers accords gigantesques du Concerto de Tchaïkovski, elle a su démontrer qu'elle n'était pas que technicienne mais aussi musicienne. Oui, c'est vrai, il y a eu quelques flottements mineurs dans le premier mouvement (que Daneshpour avait mené plus rondement peut-être) mais en quelques phrases à peine, le lyrisme, l'intensité et la poésie ne faisaient plus qu'un, esclaves de la partition romantique de Tchaïkovski. Suffisamment éblouie par la musicalité de la pianiste, mes oreilles ont moins accroché au manque de précision flagrant des musiciens de l'orchestre, décidément pas dans leur meilleure forme. (Ils ne seront certes pas les premiers ni les derniers musiciens d'orchestre à tenter de nuire aux candidats en finale d'un concours important.) Happée par l'expressivité du visage d'Arghamanyan quand elle joue (chez elle, on sent l'émotion plutôt que de devoir subir les grimaces d'un Takada ou les marmonnements incessants d'une Dorel Goran), j'ai oublié un instant toutes les notes mitraillées, tous les phrasés avalés, tout l'esbroufe des autres candidats et me suis dit que, enfin, on écoutait une vraie musicienne.

À mon grand soulagement, le jury m'a donné raison et l'a couronnée lauréate du Premier Grand Prix, les deux pyrotechniciens (Takada et Moutouzhkine) se méritant le deuxième prix ex-aequo. En entrevue radiophonique avec Mario Paquet quelques minutes après l'annonce des résultats, on la sentait dépassée par les événements, profondément émue par l'accueil chaleureux du public, un peu comme l'avait été le jeune violoniste Yossif Ivanov (16 ans alors) en 2003. On lui souhaite une longue carrière.

Christophe Huss était cette fois plutôt d'accord avec moi (lire ici) tandis que Claude Gingras a produit un papier minimal là.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah !... La critique est aisée...

Lucie a dit…

Ces critiques n'engagent que leur auteure, bien évidemment... Tout n'est que question de perception mais je ne peux que m'interroger sur la place des musiciens poètes dans notre société actuelle...