lundi 29 août 2011

Torturez l'artiste!

Un artiste peut-il créer si ce n'est dans la solitude, la douleur, la pauvreté, le désespoir? C'est ce que croit du moins l'influent Lipowitz qui fonde une société vaguement occulte, qui vise à encadrer, dès la première enfance, ceux qui pourraient régénérer l'art et l'industrie du divertissement américains. Il s'explique en ces termes dans une lettre à Harlan Eiffler, critique musical acerbe qui a perdu sa tribune et narrateur du récit, quand il cherche à le convaincre de l'utilité de sa mission:

« Irai-je jusqu'à dire que le divertissement a tué l'art? Les responsables du divertissement sont bien souvent plus des sexe-symboles que de véritables artistes. C'est là notre problème fondamental. Au lieu de l'art, nous avons le divertissement, et au lieu d'artistes, nous avons de jolies gueules qui cherchent la gloire, la fortune, et le plaisir. La souffrance est maintenue au minimum pendant que les profits sont maintenus au maximum. 
Désormais, je veux faire revenir l'art à tout prix, ou du moins renforcer le côté artistique du divertissement. Cela veut dire solliciter l'esprit artistique qui semble si absent des âmes contemporaines. Cela signifie trouver un véritable artiste et le conserver tel quel. »

Perplexe mais séduit, Harlan devient ainsi le manager de Vincent, de père inconnu et de mère nymphomane et droguée. Il opérera dans l'ombre pour apprendre au jeune auteur qu'une vie heureuse ne peut en aucun cas être synonyme de geste créateur. Il ne recule derrière rien pour stimuler l'écriture de chansons ou de scénarios de séries télé prisées: disparition de la mère, destruction de la résidence familiale, petites amies payées pour disparaître...

Joey Goebel en profite évidemment pour faire un procès décapant des univers de la pop, du cinéma, de la télé, n'hésitant pas à égratigner quelques célébrités d'aujourd'hui. Si le récit aurait peut-être eu avantage à être resserré à certains moments, on suit l'auteur avec un sourire vaguement crispé, conscient que, sous l'emphase littéraire essentielle ici (par exemple, cette relecture trash du Magicien d'Oz qui fait un tabac et donne froid dans le dos), le propos est loin d'être si abasourdissant qu'il ne pourrait à prime abord le paraître.

4 commentaires:

Libraire philanthrope a dit…

Sujet de réflexion très intéressant. C'est un aspect qui me facine toujours quand je lis la biographie d'un artiste : à quel point il a souffert!

Lucie a dit…

Certains ont souffert plus que d'autres, certes, mais je pense que l'on peut créer sans toujours côtoyer la noirceur la plus totale... Il est vrai, par contre, que si un artiste cesse de se mettre en doute, il finira je pense par devenir stérile.

Le Papou a dit…

J'ai toujours pensé que pour créer il fallait souffrir. Un homme heureux (ou une femme) ne réfléchit plus, ne pense plus qu'à son bonheur sauf ...quand il perçoit qu'il peut le perdre! Les comiques le sont rarement dans la vie de tous les jours.

Lucie a dit…

Je pense qu'on peut parfois créer dans l'exaltation, mais il existe peut-être autant de façons de créer que d'artistes...