lundi 15 août 2011

Versicolor

Certains personnages de roman sont dessinés à traits si précis, semblent si denses, qu’on ne serait presque pas surpris de les voir surgir en chair et en os. Puisant sans nul doute dans son quotidien de médecin qui pratique aussi bien dans le Grand nord québécois que pour Médecins sans frontières, Marc Forget nous propose un alter ego qui démontre à la fois forces et faiblesses. On le retrouve David Dupuis en Abitibi, incapable d’oublier celle qui partageait sa vie.
« Je revois la baie rebondie des fesses, les longues plages du dos, ses épaules. Je revois le mouvement aqueux de ses chairs. Marianna. » 
Il fuit ensuite au Soudan  et plonge dans la réalité parfois impitoyable de l’aide humanitaire. Tant de vies à sauver, si peu de moyens, le sentiment d’impuissance s’installe sans qu’on ne puisse le contrer.
« Je baigne dans un monde hallucinant de différences, et pourtant il me faut communiquer, interagir, faire mon travail. Ça m’oblige à cet effort supplémentaire vers l’autre qu’on élude parfois en voyage. Mon tourisme se fait à l’intérieur des gens. Au propre et au figuré. »  
Ce segment opte pour un ton volontiers plus documentaire et ces chapitres qui ne jouent jamais la carte de la grandiloquence ou du sensationnalisme restent parmi les plus réussis de ce premier roman. Mais au milieu de la détresse, il y aussi la camaraderie, les amis qui nous suivent de loin et les prémices d’un nouvel amour.
Frappé par la maladie, David ne peut terminer son mandat. Après de longs mois passés dans le coma, il réapprend à vivre, en noir et en gris.
« Mon rapport aux couleurs, aboli, m’oblige à donner aux sons et aux formes une surcharge de sens. Les jeux d’ombres chinoises que font les feuilles sur le sol, les rangées d’arbres, le chant des oiseaux : je cherche dans leur évocation une nouvelle manière de beauté. » 
Il se laisse aussi emporter par un amour qui balaie tout sur son passage, exigeant et généreux. Parallèlement, il retrouve son ami Loïc, cinéaste, qui décide de lui confier un rôle technique dans sa prochaine production, tournée en Argentine, apprivoise l’idée de la paternité.

Marc Forget a-t-il vu trop grand ici en multipliant les lieux et les plans narratifs? Peut-être un peu. Entre les images du Soudan, la morsure de la peine d’amour, l’ode à l’amitié, les pages sensuelles, le lecteur a parfois l’impression de danser une valse-hésitation. C’est compter sans le style de l’auteur, riche, précis, jamais mièvre, auquel on est prêt à pardonner beaucoup de choses. Saura-t-il convaincre avec son deuxième opus? On le souhaite vivement.

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