samedi 21 janvier 2012

Au commencement la nuit était musique

Déjà, le titre s'avérait un véritable poème, mais quand, en lisant le quatrième de couverture, j'ai su que les personnages principaux du roman étaient Franz-Anton Mesmer et Maria Theresia von Paradis, pianiste pour laquelle Mozart écrivit son Concerto K. 456, j'étais vendue d'avance.

N'empêche, le livre ne se laisse pas apprivoiser comme une piécette de style galant, bien au contraire. L'écriture d'Alissa Walser, auteure de deux recueils de nouvelles, de pièces de théâtre et de livres pour enfants (qu'elle illustre elle-même) mais qui a aussi traduit Sylvia Plath en allemand, est dense, chargée, voire poétique. Elle déconstruit avec une habileté étonnante le rythme des phrases, souvent très courtes.
« Mieux vaut commencer tout de suite. Sans trop de mots. Les mots distraient. Et Maria réagit vivement à la parole. Comme à la douleur. »  
Le lecteur s'y glisse, les fait siennes, en dégage leur musicalité inhérente, qu'elles évoquent la rencontre entre Maria et Mozart (délicieux intermède!), les séances de magnétisme de Mesmer - dans lesquelles la musique joue un rôle essentiel -, les questionnements du chercheur attaqué par ses collègues de la faculté de médecine, les liens qu'il tisse avec sa femme ou ses patients, les doutes qui assaillent Maria qui, alors qu'elle semble récupérer la vue pendant un certain temps, perd le contrôle qu'elle détenait sur son instrument.  
« Elle joua en ouvrant les yeux et les oreilles, jusqu’à ce que son cœur se contracte sous les sons discordants. Ses doigts pleins d’espoir s’élancèrent une fois de plus avant d’entrer en collision comme des chevaux de calèche  cherchant à s’échapper de leur attelage. Aussi ignoble fut le son. En dépit de la technique. »

La narration joue plus sur l'évocation que la linéarité, les dialogues s'intégrant sans signes distincts dans le propos, comme un contre-sujet se greffe au sujet principal de la fugue, genre magnifiquement évoqué dans cette citation: « Ah, si seulement la vie était une fugue. Aucune voix ne resterait à l’arrière-plan. » Au fil des chapitres, l'auteure nous laisse ainsi libres de réécrire notre propre version de cette histoire, de nous attarder sur un motif, une texture, une image, une émotion. Un choix audacieux, qui donne envie de passer d'autres heures avec cette auteure.



10 commentaires:

Mina a dit…

Je l'avais déjà noté, depuis le temps que je le regarde sur son étalage à la librairie, mais avec ton billet je le surligne!

Lucie a dit…

J'ai hâte de lire ce que tu en auras pensé, alors! :)

Anne a dit…

Je n'ai pas résisté quand je vu sur la table à la librairie, j'espère qu'il me plaira aussi. Je l'ai feuilleté, je pense que je l'apprécierai... ;-)

Lucie a dit…

Ah oui? Super! J'ai hâte de lire ce que tu en auras pensé.

Amélie a dit…

Ce titre est délicieux. & je crois jamais avoir lu de roman qui a comme cadre le monde musical, alors je note!

Lucie a dit…

La musique n'y joue pas exactement le rôle principal, mais c'est intéressant comme univers et comme époque j'ai trouvé.
Et, oui, j'aurais voulu trouver ce titre, j'adore!

Venise a dit…

En parlant du titre justement, je suis venu ici en croyant que c'était le titre de ton billet. C'est pour dire qu'il aurait pu aussi bien être de toi tellement tu écris bien.

Lucie a dit…

J'en rougis!

Le titre en allemand est tout aussi poétique et plus concentré (et permet la juxtaposition Musique/Nuit, impossible en français): Am Anfang war die Nacht Musik.

Karine:) a dit…

J'ai déjà lu un roman sur le même thème... mais celui-ci me tente terriblement. Quel beau billet!

Lucie a dit…

Karine: comme je l'ai dit, ce n'est pas nécessairement « facile », mais il me reste beaucoup encore de ce roman, côté atmosphère et non-dits, c'est donc bon signe! :)