mardi 20 mars 2012

Je la voulais lointaine

« Longue et lente, la vie, comme un voyage, comme un livre soudain, tout s’accélère, à l’image de ce taxi-brousse qui fonce, se rapproche du but, ou comme ces livres encore dont, retrouvant la naïveté de l’enfance, on tourne plus fiévreusement les pages quand on approche du dénouement. » 
En cette journée internationale de la francophonie, une envie de partager mes impressions, une fois refermé le neuvième roman de l'écrivain camerounais Gaston-Paul Effa, Je la voulais lointaine. Récit d'apprentissage et d'exil, de quête du soi et de redécouverte des racines, ce livre raconte l'histoire d'Obama, petit-fils de féticheur qui, à la mort de son ancêtre, a reçu en héritage le sac totémique de la tribu, objet dont il n'a pas voulu ou su assurer la garde et plutôt enterré sous un arbre. « Partir, fuir ce village, partir le plus loin possible, disparaître »; il quitte le continent africain et, comme Effa lui-même, poursuit des études brillantes en France.
« Cette langue qu’enfant j’avais apprise, pas un instant je ne songeai à la renier malgré les moqueries de mes camarades et de mes professeurs, pas un instant je ne doutai d’elle : quelque chose s’opposa sur-le-champ à ces façons nouvelles de dénaturer la langue que j’entendais. »
Devenu professeur de philosophie, ayant écrit un roman, suite à un incident pédagogique, il réalise qu'il ne peut renier ses racines, que la voix de son grand-père continue de l'habiter: « Il s’était associé à ma vie, m’avait aspiré comme un souffle, avait coulé en moi comme la sève. » Il décide de retrouver le Cameroun, de se prouver qu'il saura être à la hauteur du secret des origines transmis, qu'un pont peut s'ériger entre hier et demain, sol natal et terre d'adoption, aliénation et nécessité pour l'ancien colonisé de se réapproprier son histoire. 
« Je pouvais enfin nouer les fils de ma vie : le noir de mes origines au blanc de ma destinée. »
Toute en ellipses, poétique, musicale, d'une grande tendresse, souvent somptueuse, l'écriture de Gaston-Paul Effa se laisse découvrir par strates, un paragraphe, une respiration à la fois. Incantatoire, elle favorise une appropriation impérative de l'imaginaire, tout en s'inscrivant dans une réaffirmation consciente de la puissance de la langue française. Geste de résistance et non pas de conquête.

L'auteur dit lui-même en entrevue: « Oui, la francophonie est la langue française qui bat dans un corps étranger. Les écrivains francophones ont un sentiment de la langue plus aiguisé que certains français. Ils s’approprient cette langue, la dé-construisent, lui donnent des coups de bec et permettent bien souvent aux Français de redécouvrir leur langue dite maternelle. L’écrivain francophone est donc un passeur de mots, un passeur de sens. »

Voilà un auteur dont j'aurai plaisir à découvrir les autres titres.

1 commentaire:

Venise a dit…

"Toute en ellipses, poétique, musicale, d'une grande tendresse, souvent somptueuse, l'écriture de Gaston-Paul Effa se laisse découvrir par strates, un paragraphe, une respiration à la fois. Incantatoire, elle favorise une appropriation impérative de l'imaginaire, tout en s'inscrivant dans une réaffirmation consciente de la puissance de la langue française".

Il n'y a pas à dire mais je le dirai, tu fêtes fort la journée de la francophonie, chère Lucie, au verbe élégant et délié.