samedi 16 juin 2012

Amour debout

Au premier contact, Amour debout déroute. Les mots, épars, pourtant lourds, glissent, frôlent, froissent parfois. On les laisse se déposer une première fois, voile de tristesse plutôt que sédimentation du propos. On referme le recueil, sans pourtant avoir le réflexe de le ranger, en sachant que l’on n’a perçu que le souffle des mots, que l’on n’a pas encore réussi à extraire l’essentiel, que Mélina Bernier nous a laissés sur le quai ou plutôt que nous n'avons pas encore reconnu l’évanescence de la douleur vécue au quotidien.

Quelques jours, semaines, plus tard, dans un autre lieu, on y revient, une fois, deux fois. Les textes courts, morcelés, proches du haïku, mais refusant les règles du genre, commencent à nous atteindre. La langue semble moins abrupte, écorchée certes, parfois hostile, mais non dépourvue d’une grande délicatesse. Voie lactée / amour debout / nœud de doute / appelle / ce paysage / halluciné.  On y croise des amoureux sans doute blessés (chambre / une rencontre / décisive / il y aura / ce claquement / de langue), des déracinés de la violence (en périphérie / le garçon siffle / un blindé / cahote / entre les mines / la machine), des oubliés (famine / vaste sol / jambes frêles / habitent / l’obscur), mais surtout des êtres privés de parole, que personne ne prend le temps de voir (nomades / après le séisme / un attroupement / dérange / autour des cabanes / bancales), d’entendre (corridor de monde / désuète / la parole / cette lenteur). C’est à ce moment précis que l’on perçoit le recueil, mais surtout le monde qui nous entoure, autrement.

Certains considéreront peut-être ces fragments arides; les autres sauront déceler la cohérence et la force qui se dégagent de l’ensemble. A-t-on besoin de comprendre les moindres articulations d’un récit pour en discerner la profonde humanité, la troublante fragilité? J’aimerais penser que non.

Soulignons en terminant la magnifique couverture de Suana Verelst, qui nous amène immédiatement ailleurs.

2 commentaires:

Mélina a dit…

Bonjour Lucie,

je suis impressionnée par le propos juste et sensible de votre compte-rendu critique.

Merci de vous intéresser à la poésie contemporaine!

Suite à ma visite dans l'univers de votre Blogue, j'ai été tentée par la découverte des « livres » du piano bien tempéré de Bach...

J'ai écouté plusieurs versions, bien différentes et j'ai été fascinée par celle d'un pianiste italien dont j'oublie le nom. L'enregistrement est Deutsche Grammophon...

Je serais heureuse que vous me partagiez vos impressions!

Salutations

Mélina

Lucie a dit…

Bonjour Mélina et bienvenue ici!

Pour ce qui est des diverses lectures du CBT, plusieurs ont des qualités complémentaires. Je suis assez intriguée par ce pianiste italien que vous évoquez. N'hésitez pas à me contacter par courriel (l'adresse est dans mon profil) pour échanger plus à fond sur les différentes versions. J'admets que j'écoute rarement une intégrale du CBT. Quelques préludes et fugues ici et là, plusieurs versions. Je préfère un regard composite... ou le jouer moi-même :)