« Et pourtant, la dernière chose que je pourrais regretter serait
d’être parti. Parce qu’on revient rarement avec des valises pleines de
regrets d’un voyage élargisseur d’horizons. Les rencontres, les
souvenirs, les embûches, les accomplissements et les dépassements de soi
qu’on y a vécus compensent amplement ce qu’on a pu rater du cycle de
notre quotidien sédentaire. »
Vous avez aimé jadis Tintin chez les Soviets? Inutile de
plonger dans vos souvenirs, car avec l’effondrement de l’URSS en 1991,
la donne a complètement changé. Frédérick Lavoie, un journaliste qui
n’entretient que bien peu de points communs avec le charmant personnage
d’Hergé, nous propose plutôt ici une incursion en post-Soviétie, avec
arrêts obligés en Biélorussie (le récit de la quinzaine de jours passés
par l’auteur reste l’un des plus enlevants du livre), dans les pays en
–stan, le Caucase ou l’Extrême-Orient de la Russie, si proche et si loin
de son voisin chinois. Que vous ayez suivi de près l’actualité
internationale au cours de la dernière décennie ou soyez incapable de
replacer les anciennes républiques, devenues indépendantes, sur une
carte importe peu. Frédérick Lavoie ne propose pas tant une analyse
sociopolitique (souvent pertinente) qu’un regard autre, qui s’attarde de
façon concertée à déboulonner les clichés.
Dans son quotidien comme dans l’élaboration de ce récit fascinant,
Lavoie refuse de suivre les sentiers balisés. N’espérez pas de
descriptions dignes de figurer au verso (ou même au recto) de cartes
postales officielles. Le journaliste québécois, basé à Moscou depuis
l’achèvement de sa maîtrise, laisse libre cours au hasard des
rencontres, que ce soit dans un wagon de train, à l’arrière d’un marchroutka
ou sur un quai de gare. Ce faisant, il nous permet de découvrir les
pays de l’intérieur, à travers les yeux de Sacha, Goulmira, Abdoufato,
Djoumagoul ou tant d’autres, qui hésitent à dire tout haut ce que
plusieurs pensent tout bas, le regard omniscient des dictateurs
(présents ou passés) empêchant toute parade.
L’écriture demeure d’une rare fluidité et, pas une seconde, on ne
s’ennuie tout au long de ces 376 pages. Sans jamais tomber dans le
démagogique ou le didactique, Lavoie nous en apprend plus qu’à la
lecture de nombre d’essais fouillés. Il nous force surtout à nous
questionner sur le rôle de la presse, qui peut servir d’outil de
propagande, que l’on vive ou non dans une dictature, mais aussi de celui
qui consomme la nouvelle, endossant par sa passivité une escalade des
traitements-chocs des événements.
Je lirai certainement avec un intérêt égal le récit des prochaines
pérégrinations de Lavoie et admets souhaiter qu’une telle plume
choisisse un jour de relever le défi de l’écriture de fiction. Après
tout, « il y a tant d’histoires muettes à faire parler ».
6 commentaires:
"Il nous force surtout à nous questionner sur le rôle de la presse, qui peut servir d’outil de propagande, que l’on vive ou non dans une dictature, mais aussi de celui qui consomme la nouvelle, endossant par sa passivité une escalade des traitements-chocs des événements."
Oui, c'est exactement ça.
& je me suis aussi demandée ce à quoi ça ressemblerait s'il écrivait de la fiction... on peut toujours espérer! ;)
On peut peut-être lui envoyer une demande conjointe? ;)
Cela m'a l'air bien tentant. Je le note, merci.
Le Papou
Je te dirais, je te le prête... mais je l'ai déjà promis à quelqu'un d'autre avant.
Pour répondre à votre «demande conjointe», je n'exclus pas d'écrire un jour de la fiction, mais pour l'instant, je préfère faire parler les histoires ancrées dans le réel.
Merci à vous deux pour les recensions sur vos blogues. Chaque critique permet de percevoir notre travail sous un autre angle.
Au plaisir,
Frédérick
Merci Frédérick pour ce passage ici!
Au plaisir de suivre les prochaines aventures! :)
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