mercredi 17 juin 2015

Pardon

 
« Les porcs-épics s’en donnaient à cœur joie. Perçaient les cœurs, qu’ils ne puissent plus aimer. Lacéraient les mains, qu’elles ne puissent plus caresser. Crevaient les yeux, qu’ils ne puissent plus voir la beauté. […] 
Enfin, l’un d’eux – homme, femme, enfant? – osa lever une main, lentement, pour la passer sur le dos de l’animal qui, un instant plus tôt, s’acharnait à lui trouer le cœur. Celui-ci poussa un petit soupir et se retourna, offrant son ventre à la caresse. Chacun, devant ce spectacle, trouva le courage de toucher son porc-épic. Et chaque porc-épic réagit pareillement. 
C’est ainsi que la parole a guéri les êtres humains. Oh, les porcs-épics sont encore là. Ils le seront toujours. Ils piquent encore, parfois. Mais ils sont désormais apprivoisés. Et on n’a qu’à prononcer à nouveau le dernier mot pour les apaiser. 
Pardon. »  
Marie-Christine Bernard, Matisiwin

lundi 15 juin 2015

Serge Ouaknine notre recrue de juin

« J’écris comme un peintre : par tableau que je retouche plusieurs fois. Le canevas du récit est là, globalement en tant que thème mais je travaille la texture sonore et le grain des évocations sensibles. » Pourrait-on parler ici de synesthésie littéraire?
Il faut bien admettre que Le tao du tagueur de Serge Ouaknine, notre recrue ce mois-ci, peut sembler un ouvrage qui à première vue rejoindra plus directement ceux qui possèdent une ouverture à l’art pictural. Il touchera néanmoins les autres par la poésie de la langue et cette volonté du protagoniste de freiner le temps, de privilégier l’être à l’avoir.
La rencontre avec l’autre y joue un rôle essentiel, ainsi que le désir, sentiment qui se niche au cœur même de Philippe H ou La malencontre de Mylène Fortin, étonnant road trip gaspésien. Tout au long du périple, on peine à dissocier le réel du fantasmé, tout comme dans La maison habitée de Geneviève Lévesque, retour vers une enfance peuplée de personnages inquiétants qui ont peut-être existé et qui envahissent assurément le quotidien de la narratrice. Ce passé sublimé s’infiltre aussi dans l’un des livres pour adolescents de cette cuvée, La balade de Vipérine de Pascal Bruellemans, prolongement de sa pièce, créée en 2012 aux Coups de théâtre, reprise récemment par la Maison Théâtre. 
Côté hors-Québec, nous vous proposons Jours de grande parole, dans lequel les poèmes d’Hélène Pommarel entrent en résonance avec des gravures de Pierre Pornet, « un livre beau à étreindre » selon notre collaboratrice Mélina Bernier.
« Mais avec quatre lettres, on peut refaire la vie… Ce n’est pas le tag qui engendre la laideur, mais l’imaginaire éteint par la peur », avance le narrateur de Serge Ouaknine. Et si, un livre à la fois, on pouvait refaire le monde?

vendredi 12 juin 2015

The Apprenticeship of Duddy Kravitz - The Musical: pari relevé!

Photo: Maxime Côté
Rarement une comédie musicale aura connu une aussi longue gestation. Entre la première mouture présentée en 1987 - sa fin fidèle au roman, dans laquelle la cupidité l'emportait assurément sur la droiture avait laissé le public frustré - et celle proposée ces jours-ci au Segal, près de trois décennies se sont en effet écoulées. Le compositeur Alan Menken (lauréat depuis de huit Oscars pour nombre de ses partitions pour Disney) et le librettiste David Spencer n'avaient heureusement pas dit leur dernier mot, chacun revenant périodiquement à ce projet que d'autres auraient accepté comme condamné. Le premier admet avoir réécrit la moitié de la partition, le second est retourné aux sources, a lu le livre en profondeur, revu le film qui en a été tiré, et il faut admettre que le produit final se révèle certes à la hauteur de l'univers foisonnant du roman de Mordecai Richler.

Photo: Maxime Côté
Rarement sera-t-on témoin d'une telle maestria dans le traitement du livret. Pas facile en effet de ne pas perdre le spectateur entre les scènes qui se passent rue St-Urbain et celles à Sainte-Agathe (sans oublier un détour par Granby, alors que Duddy y retrouve son frère Lennie, parti en cavale suite à un acte qui aurait pu mettre fin à sa carrière médicale), mais grâce à de simples rideaux de scène évoquant la ville ou la campagne, des changements d'accessoires qui se font sous nos yeux et la présence du père dans le rôle du narrateur, le tout fonctionne. La scène du Segal est sans doute l'une des plus ingrates pour les scénographes, son étroitesse ne favorisant pas les effets de profondeur - sans compter ici qu'il fallait pouvoir disposer quelque part les huit (très polyvalents) musiciens de l'ensemble. La mise en scène d'Austin Pendleton est suffisamment habile (hormis peut-être cette scène où Duddy, Yvette et Virgile courent autour du bureau) pour que l'on ne s'y sente pas trop à l'étroit.

Photo: Maxime Côté
La distribution, entièrement canadienne, est sans faiblesse. Ken James Stewart nous offre un Duddy à la moralité parfois douteuse, pourtant totalement attachant. On veut le voir réussir, connaître l'amour, se réconcilier avec les membres de sa famille, damer le pion au patibulaire Jerry Dingleman. Marie-Pierre de Brienne campe une Yvette à la fois fragile et forte, Sam Rosenthal en M. Cohen vole la vedette à chaque fois qu'il entre en scène. George Masswohl offre une belle densité au personnage de Max Kravitz (père du héros), qu'il joue la carte de la complicité avec la salle (choix intéressant du librettiste), qu'il explose devant les frasques de son fils ou s'épanche en évoquant sa femme trop tôt décédée. Tous ont assurément maîtrisé les subtilités de la partition de Menken, qui rappelle beaucoup par moments celle d'Aladdin, et comprend plusieurs airs que l'on a envie de réentendre, que ce soit le ludique Art and commerce, le charmant How could I not? ou le puissant Welcome home.

En sortant du Segal, on se prend à rêver à ce que la comédie musicale pourrait devenir sur Broadway, avec une scène qui permettrait peut-être l'ajout d'un ou deux numéros dansés (lors du souper ou de la partie de roulette à Sainte-Agathe par exemple ou encore dans Turn it around) et un orchestre plus consistant, mené par Jonathan Monro avec une belle précision. En cette année Mordecai Richler, le moment est peut-être enfin venu de caresser ce rêve.

mardi 9 juin 2015

Les sept péchés capitaux du lecteur

Allez, cela faisait longtemps que je ne m'étais pas frottée à un tel questionnaire... Je l'ai repéré chez Marie-Claude de Hop! sous la couette il y a plusieurs semaines, ai décidé d'y revenir...

Avarice - Un livre que je ne prêterais sous aucun prétexte

Je pense que je pourrais prêter tous mes livres, mais il y en a un, datant de l'enfance, Contes des pays de neige, que je ne prêterais que si j'étais ABSOLUMENT - mais vraiment là absolument - certaine qu'il me revienne. Sinon, la lecture est faite pour être partagée!

Orgueil - Un livre lu dans le but de passer pour une intellectuelle

J'admets que lire Le gai savoir de Nietzsche à l'adolescence, c'est surtout pour en jeter... J'y reviendrai cependant, de la même façon que j'ai relu avec un énorme plaisir cette fois Le théâtre et son double d'Artaud, en écho à la démesure de la proposition de Christian Lapointe pour le FTA.

Colère - Un auteur avec qui j'ai une relation amour/haine

Si ça ne clique pas avec un auteur, parfois, j'abandonne, parfois j'y reviens. J'ai lu un seul tome de La Recherche, mais ai lu des nouvelles et des poèmes de Proust... À l'inverse, la première fois que j'ai croisé Paul Auster sur ma route (avec Moon Palace), cela ne m'a pas parlé. Je suis revenue à l'auteur avec Le livre des illusions et ai depuis tout lu de lui.

Gourmandise - Un livre dont j'ai honte, mais que je ne peux m'empêcher de dévorer encore et encore

Je ne relis presque jamais un livre, alors difficile de se sentir coupable de retenir un titre ici.

Paresse - Un livre dont j'ai négligé la lecture en raison de ma paresse naturelle

Il y a des livres qui attendent dans ma PAL depuis des années. Est-ce par paresse? Je ne crois pas. Quand le moment sera venu, la rencontre se fera. Ulysse de James Joyce aussi peut-être, même si, à chaque fois que j'en ai entendu ou vu (à travers des adaptations théâtrales) des extraits, j'ai aimé.

Luxure - L'attribut que je trouve le plus séduisant chez un personnage masculin ou féminin

Un personnage qui a une vraie personnalité, forte, impossible à oublier, comme Wallander par exemple. Une voix dont on se souviendra.

Envie - Le livre que j'aurais aimé écrire avant l'auteur

Assurément Les cascadeurs de l'amour n'ont pas droit au doublage de Martine Delvaux... pour le titre, imparable, mais surtout pour la force du propos, la façon dont la narratrice règle ses comptes avec l'ex de façon virulente, mais toujours poétique. Je l'ai prêté à plusieurs amis, l'ai offert... et je sais que j'y reviendrai, ne serait-ce que pour relire quelques pages ici et là.

Et vous, avez-vous des péchés livresques?

vendredi 5 juin 2015

Orphée Karaoké: la pièce dont vous serez les héros

Photo: Maxime Paré-Fortin  
Quelle façon ludique et allumée de terminer l'OFFTA! Un spectacle-événement sans acteurs qui promet une relecture de certains mythes grecs (que l'on peut considérer les ancêtres des soap operas et téléréalités).

« I need a hero », chantait Bonnie Tyler il y a quelques décennies (hit qui aurait très bien se retrouver dans la liste de titres d'ailleurs). Où le trouver? Parmi les spectateurs qui auront transmis leurs prières (cinq choix tirés dans un répertoire allant de Je t'aime moi non plus de Gainsbourg à une chanson des Beastie Boys, en passant par la Lambada et Father and Son de Cat Stevens) grâce à leur téléphone intelligent (ou à celui de la copine qui les accompagne, comme cela a été mon cas). Pendant que ceux-ci votent, Orphée le barde (Jean-François Malo) se promène au milieu des porteurs de chapeaux d'anniversaire de carton, visiblement perplexes quant à la suite des événements, mais le sourire aux lèvres.

Photo: Maxime Paré-Fortin  
Un numéro chanté et puis, tout bascule. Le rideau s'ouvre devant le public qui réalise qu'il n'est pas dans une salle de répétition, mais bien sur la scène principale du Théâtre d'Aujourd'hui. Étrange perspective quand on est habitué de contempler le tout de l'angle inverse! Des élus sont appelés par une voix de synthèse; ils deviendront Égée, Thésée, Hippolyte, Ariane, Phèdre, Ménélas, Hélène... J'ai hérité du rôle de Sisyphe, mais rapidement ai « voulu mourir sur scène » (sous le feu de lasers, rien de moins) et dû rendre mon couvre-chef de papier au Styx (une déchiqueteuse) puis revêtir le chapeau noir des morts (qui ne tenait bien sûr pas sur ma tignasse fournie). Dès lors, je me croyais à l'abri des feux de la rampe, mais l'auteur aurait le dernier mot (et, heureusement, le ridicule ne tue pas).

Je m'en voudrais de révéler les détours narratifs pris ici par Félix-Antoine Boutin qui dispose assurément d'une voix dramaturgique affirmée, le plaisir du jeu pour les spectateurs étant à la base même de la proposition. Oui, certains segments pourraient être légèrement resserrés, certaines redites éliminées, mais cela sera sans doute ajusté lors des prochaines représentations, car je ne pense pas me transformer en oracle en affirmant que, tel le phénix, ce spectacle renaîtra de ses cendres (du moins, on le souhaite).

mercredi 3 juin 2015

Keep in Touch / Gloria: entrer en contact

Si Keep in Touch et Gloria semblent liés par la présence de la musique, difficile de trouver programmes plus disparates ou de les faire entrer en résonance.

Pour lire ma critique, passez chez JEU...

Une chose est certaine: je surveillerai avec attention le parcours de Mykalle Bielinski.
OFFTA 2015 | Gloria from OFFTA on Vimeo.

lundi 1 juin 2015

OFFTA: La vérité en magie / Capitalist Duets

En apparence disparate, ce programme double combinant magie et danse se révèle néanmoins lié par une volonté de faire plus avec presque rien, mais surtout de faire réfléchir le public sur son goût du spectaculaire.

Pour lire ma critique, passez chez JEU...

Vous pouvez voir ce doublé ce soir au Studio Hydro-Québec du Monument-National à 22 h ce soir.