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Photo: Maxime Côté |
Rarement une comédie musicale aura connu une aussi longue gestation. Entre la première mouture présentée en 1987 - sa fin fidèle au roman, dans laquelle la cupidité l'emportait assurément sur la droiture avait laissé le public frustré - et celle proposée ces jours-ci au Segal, près de trois décennies se sont en effet écoulées. Le compositeur Alan Menken (lauréat depuis de huit Oscars pour nombre de ses partitions pour Disney) et le librettiste David Spencer n'avaient heureusement pas dit leur dernier mot, chacun revenant périodiquement à ce projet que d'autres auraient accepté comme condamné. Le premier admet avoir réécrit la moitié de la partition, le second est retourné aux sources, a lu le livre en profondeur, revu le film qui en a été tiré, et il faut admettre que le produit final se révèle certes à la hauteur de l'univers foisonnant du roman de Mordecai Richler.
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Photo: Maxime Côté |
Rarement sera-t-on témoin d'une telle maestria dans le traitement du livret. Pas facile en effet de ne pas perdre le spectateur entre les scènes qui se passent rue St-Urbain et celles à Sainte-Agathe (sans oublier un détour par Granby, alors que Duddy y retrouve son frère Lennie, parti en cavale suite à un acte qui aurait pu mettre fin à sa carrière médicale), mais grâce à de simples rideaux de scène évoquant la ville ou la campagne, des changements d'accessoires qui se font sous nos yeux et la présence du père dans le rôle du narrateur, le tout fonctionne. La scène du Segal est sans doute l'une des plus ingrates pour les scénographes, son étroitesse ne favorisant pas les effets de profondeur - sans compter ici qu'il fallait pouvoir disposer quelque part les huit (très polyvalents) musiciens de l'ensemble. La mise en scène d'Austin Pendleton est suffisamment habile (hormis peut-être cette scène où Duddy, Yvette et Virgile courent autour du bureau) pour que l'on ne s'y sente pas trop à l'étroit.
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Photo: Maxime Côté |
La distribution, entièrement canadienne, est sans faiblesse. Ken James Stewart nous offre un Duddy à la moralité parfois douteuse, pourtant totalement attachant. On veut le voir réussir, connaître l'amour, se réconcilier avec les membres de sa famille, damer le pion au patibulaire Jerry Dingleman. Marie-Pierre de Brienne campe une Yvette à la fois fragile et forte, Sam Rosenthal en M. Cohen vole la vedette à chaque fois qu'il entre en scène. George Masswohl offre une belle densité au personnage de Max Kravitz (père du héros), qu'il joue la carte de la complicité avec la salle (choix intéressant du librettiste), qu'il explose devant les frasques de son fils ou s'épanche en évoquant sa femme trop tôt décédée. Tous ont assurément maîtrisé les subtilités de la partition de Menken, qui rappelle beaucoup par moments celle d'
Aladdin, et comprend plusieurs airs que l'on a envie de réentendre, que ce soit le ludique
Art and commerce, le charmant
How could I not? ou le puissant
Welcome home.
En sortant du Segal, on se prend à rêver à ce que la comédie musicale pourrait devenir sur Broadway, avec une scène qui permettrait peut-être l'ajout d'un ou deux numéros dansés (lors du souper ou de la partie de roulette à Sainte-Agathe par exemple ou encore dans
Turn it around) et un orchestre plus consistant, mené par Jonathan Monro avec une belle précision. En cette année Mordecai Richler, le moment est peut-être enfin venu de caresser ce rêve.
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