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Je connais bien l'univers romanesque de Nicolas Gilbert, ayant lu avec un plaisir certain ses trois titres, et ai écouté avec attention ses œuvres musicales recensées sur Musiflots et sur son site. Jusqu'ici, ce touche-à-tout avait résisté à la tentation de mêler les deux mondes, mais l'appel s'est cette fois-ci manifesté de façon suffisamment puissante pour qu'il ose ce « métissage », en un prolongement naturel de son roman La fille de l'imprimeur est triste, une superposition de deux destins, l'un contresujet de l'autre.
Avec Thomas devant la fontaine éteinte, Nicolas Gilbert nous propose un étonnant voyage dans la banalité, pourtant aucunement banalisée. Comme tant d'autres, Thomas sort d'un divorce douloureux et doit retrouver ses repères dans un nouvel appartement, un nouveau quartier, avant de pouvoir considérer replonger dans le monde professionnel. Il nous raconte, avec une désarmante simplicité - qui évite la facilité -, cette transition, entre l'avant et le maintenant, à travers des souvenirs d'un premier amour non assumé (la bien nommée Isabelle Jolicoeur, « délicate comme un papillon du printemps »), d'un mariage loin d'être idéal ou idéalisé avec Émilie et une contemplation des mouvements des passants autour de la fontaine du titre. « Quelque chose va se jouer maintenant », dit-il d'ailleurs. Il découvrira une adolescente lisant Harry Potter, aidera une vieille dame qu'il a d'abord percutée dans une folle poursuite de la « sublime et délicieuse » Isabelle (mais cette vision n'est-elle pas simplement celle de l'idéal féminin?), finira par retrouver souffle et inspiration nécessaire pour reprendre son travail... de musicien.
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Jeune diplômé de l'École nationale du théâtre du Canada, Simon-Pierre Lambert offre une narration fluide, particulièrement quand il réussit à se détacher entièrement du texte pour devenir Thomas, qu'il habite avec conviction, tant dans le registre banal qu'exalté. On souhaiterait le voir de nouveau incarner le personnage (peut-être dans le cadre d'une tournée des maisons de la culture?), de mémoire, avec une mise en scène légère, doublée de quelques éclairages soignés.