mercredi 26 mai 2010

L'absence d'oiseaux d'eau

J'avais beaucoup aimé Les adolescents troglodytes, la voix particulière de l'auteure, la façon dont elle manipule les mots, les sculpte, les débarrasse des scories qui leur sont souvent associées. Quand j'ai vu qu'Emmanuelle Pagano venait de signer un roman épistolaire - faux ou vrai, nous y reviendrons -, j'étais très tentée. Même si le livre est maintenant disponible ici, Caro m'avait interdit de me le procurer, arguant qu'elle me l'avait déjà acheté. J'ai donc attendu bien patiemment sa venue, puis son départ (quand même, on peut trouver mieux à faire que lire quand des amis sont en visite touristique!) pour m'y plonger. Alors?

Je l'admets, je suis partagée. Avait-on besoin de cette référence à une histoire « vraie », cette liaison entre deux auteurs dont l'un quitte l'autre, « reprenant » ses lettres? (Entendons-nous, dans ce monde de communication instantanée qui est le nôtre, nous possédons aussi bien dans nos ordinateurs questions que réponses. Je peux néanmoins comprendre que l'absent ait exigé que sa voix soit tue ici.) En fait, si je n'avais pas lu la note de l'auteure, entendu parler de ces entrevues dans lesquelles elle confiait que cette relation avait bel et bien existé, je pense que j'aurais plongé dans le roman sans aucune réserve, plutôt que d'être confinée à un rôle plus ou moins volontaire de voyeur. 
« Le papier cousu de lettres est plus résistant que la peau, que la chair, que les muscles, ce qu'on construit ensemble est fait de mots, le texte, le tissu en est inaltérable puisque les phrases publiées seront indélébiles. » (p. 24)

L'écriture de Pagano est suffisamment forte pour que le lecteur accepte de la suivre les yeux fermés et les sens ouverts dans les méandres parfois limpides, parfois fort sombres de cet amour qui, dès le départ ou presque, semble mort-né, non seulement car on en connaît déjà l'issue mais parce que cet amour est essentiellement basé sur des mots que, en écrivain, on peut tourner, détourner, retourner contre son lecteur ou son auteur.

« Nos livres ne sont pas des boîtes où nous enfermons les papillons, ils sont les cocons où s'agitent et s'affairent les chenilles, et nos mots, nos phrases, sont faits de soie vivante. Ils sont cet espace étroit dans lequel deux chenilles tissent, chaque jour, chaque heure. Elles tapissent les parois par la bouche de baisers de mots, de caresses, de corps à corps. Je passe ma main sur l'abdomen doux de la chenille. Quand ce sera fini, qui pourra dire si nous avons été amants ou jumeaux? » (p. 48)

En trois sections, le roman retrace l'attente rêvée, la consommation du geste puis l'absence, non plus seulement symbolique mais bien (trop) réelle. Pagano reste incomparable pour dire le corps sans artifices, sans gants blancs, sans romantisme fleur bleue. Elle l'inscrit dans le prolongement du geste, de l'acte, nous laissant parfois pantois. (Les quelques pages plus charnelles lues dans le métro auraient bien pu faire rougir ma voisine si elle s'y était intéressée.) Quand on la retrouve femme blessée, délaissée, qui cherche à transformer sa douleur en geste artistique (un peu comme continue de le faire Sophie Calle dans ses projets), j'admets avoir été moins convaincue. J'ai trouvé le ton plus convenu, moins poétique, moins sublimé d'une certaine façon. Un très beau livre néanmoins...

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