dimanche 9 décembre 2012

Hors champ

En l'espace d'une semaine, Aurélien disparaît. On ne parle pas ici d'une figure de style, même si tout le livre peut se lire comme une vaste métaphore sur la dépersonnalisation des rapports que nous entretenons avec nos semblables. Non, Aurélien devient de plus en plus flou, ses collègues, son amoureuse (avec laquelle il est enfin prêt à s'engager et avoir des enfants), sa famille, des inconnus ne le voyant qu'à la dernière seconde quand il semble se matérialiser, puis plus du tout. Un homme invisible qui ne sait plus quoi faire pour être vu, pris, touché, aimé. Seuls les laissés pour compte semblent encore percevoir son essence et son frère Joël, paraplégique depuis l'adolescence, dont il retranscrit au début de roman le journal, qui comprend notamment de très beaux passages sur la lecture.

« Le lecteur, si vraiment il s'engage dans sa lecture, devient un personnage lié au roman qu'il lit puisqu'il entre à son tour dans l'histoire et refait, à sa façon, tout le parcours du texte. Mais ce personnage échappe totalement au pouvoir, à la volonté, à l'imagination de l'auteur du livre dont il n'est pas une "création", mais un invité. Un drôle d'invité, anonyme, venu on ne sait d'où, qui arrive à l'improviste et sort quand ça lui chante de l'espace du livre, sans souci de ponctualité, de la moindre convenance, qui s'y attarde ou le traverse à toute allure, riant, bâillant d'ennui, râlant, applaudissant ou se moquant, selon son humeur, sa sensibilité, ses intérêts. Les grands romans grouillent ainsi d’hôtes anonymes qui fouillent dans les coins, dérobent par-ci, par-là une poignée de mots, une ou deux idées, quelques images qu’ils utilisent dans leur vie. »

Comment peut-on disparaître de la vie de nos proches? Combien de temps cela prendra-t-il avant que plus personne ne se souvienne de nous? Ce livre dense, qui n'a pourtant rien d'hermétique, nous confronte à notre propre humanité, presque jusqu'au vertige. Le hasard a voulu que je le termine après avoir vu Parade d'états, un cabaret post-post-existentiel sous titré « Être, paraître, disparaître ». Un curieux écho, quand même...

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