Trois femmes innues, natives de la Côte-Nord, trois voix distinctes, trois façons engagés d'aborder l'écriture de haïkus, qui deviennent autant de bâton à messages. Ici, les tshissinuatshitakana ne sont plus tant des repères laissés à l’intérieur des terres pour permettre aux nomades d’orienter leur marche que des témoins d'une réalité, des regards sur des lieux, des situations, des problématiques. La mission du recueil est double, ce qui justifie la nécessité de jumeler à chaque texte français sa traduction innue (ou vice versa). On y perçoit aussi bien le refus de banaliser violence, toxicomanie, alcoolisme qu'une volonté de décrire la réalité d'un peuple fait pour les grands espaces, maintenant confiné dans des réserves qui, bien souvent, au lieu de protéger une identité, favorise les abus, les blessures, l'impuissance. On parle ici de littérature engagée dans son sens le plus pur, les mots pouvant servir à faire éclater les préjugés comme à cristalliser les douleurs ou à présenter autrement la tendresse liée au respect des traditions.
« Je deviens en quelque sorte un chaman contemporain qui utilise des mots épurés, mais imprégnés d’une forte émotion, selon mes états d’âme. Ma culture, de tradition orale, se transforme par l’écrit, ce qui, pour moi, traduit une évolution », explique Shan Dak (Jeanne-d'Arc Vollant) dans le texte introductif à ses haïkus. « Écrire est devenu une forme de survie, car j’utilise un médium contemporain afin de parler de ma situation de femme innue chevauchant la réalité de deux peuples. Je dois immanquablement évoluer dans le monde de l’écrit afin de concilier mon passé et mon présent, afin aussi de construite ma propre identité. »Les trois auteurs traitent le genre si particulier du haïku de façon unique, complémentaire. Louise Canapé propose la démythification d'une réalité.
maison du défunt
échange de souvenirs de chasse
près du cercueil
ou encore
heure de visite
ce bruit des clés et des gonds
derrière le grillage
Shan Dak transmet la blessure, la sienne, celle de ses semblables.
après tant d'années
des pas hantent encore ses nuits
pensionnat indien
ou bien
premier jour du mois
sur un carré de miroir
deux lignes blanches
Louve Mathieu se sert des mots comme d'armes servant à briser le silence; le haïku devient un chant écrit.
réserve autochtone -
sur le terrain vague:
No Trespassing
ou
bébé de six mois
en sevrage d'alcool
une autre crise
Un livre à se procurer impérativement, à relire, à méditer, à réciter à voix haute, que ce soit dans la langue maternelle ou l'autre, à offrir.
On peut écouter ici une entrevue donnée par Shan Dak Vollant à l'émission Boréal Hebdo au sujet du recueil (avec lecture de quelques haïkus).
2 commentaires:
Merci de nous faire découvrir de la poésie. Ce recueil me semble très beau.
Je le rangerai pas bien loin celui-là; j'aurai besoin d'y revenir.
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