mardi 29 janvier 2013

Emmaüs

Je l'admettrai d'emblée: j'ai lu tout Baricco, ses romans, ses essais, même son travail sur L’Iliade (qui m'a moins convaincue). Je suis entrée, il y a des années de cela, dans l'univers de l'auteur italien par Novecento pianiste (sans surprise sans doute), puis Soie (un des rares livres que j'ai relus, dont l'adaptation cinématographique m'a laissé de glace, contrairement à La légende de 1900, jouissif par moments), puis les autres titres, plus ou moins dans leur ordre de traduction. Pourtant, je n'ai pas fondu sur Emmaüs en librairie. Je l'ai ouvert ici et là, au hasard, sans trop savoir qu'en penser. Quelque chose de suranné peut-être, d'un peu trop catho aussi sans doute. Hésitante, j'ai donc décidé de le réserver à la bibliothèque. Je pensais attendre des semaines, il est arrivé presque tout de suite. Peut-être le livre avait-il besoin de me surprendre pour que j'en apprécie la densité...

Dès la première page, d'une redoutable efficacité, je me suis sentie happée par le livre. Même si ces adolescents pieux d'une autre ère (celle de l'auteur ou de ses parents peut-être) auraient pu sembler à des lieues de moi, presque instantanément, j'ai accepté de me glisser dans l'ombre du narrateur, de ses amis Bobby, Le Saint, Luca, j'ai senti la belle Andre tout brûler sur son passage, se consumer de l'intérieur. (L'auteur effleure d'ailleurs avec une grande délicatesse ici le thème de l'anorexie.) Au fil des pages, j'ai accepté d'entrer de plus en plus dans leurs blessures, que je n'en sortirais pas entièrement indemne.
« Nous sommes comme ça, nous utilisons plein de mots dont nous ne connaissons pas la signification et l’un d’eux est le mot douleur. Un autre est le mot mort. »
La magie opérant, j'aurais aimé me joindre à ce groupe de rock chrétien, sentir la main du narrateur sur ma cuisse sous le plaid, avaler un sandwich au bar un soir tard, découvrir l'amour physique avec fulgurance lors d'une fête surprise. J'aurais voulu pouvoir écrire certaines des perles glissées ici et là dans le texte, par exemple, celle-ci qui prolonge, quelques pages après, la première citation:
« Timidement, il s’est mis à fouler une terre désolée où les mots douleur et mort ont une signification précise – dictée par Andre, et écrite dans notre langue avec la graphie de nos parents. »

Ceux qui aiment le Baricco des contes philosophiques seront peut-être déçus. Les autres se laisseront sans doute, comme moi, toucher par cet opus d'une profonde humanité, qui nous renvoie à notre finitude autant qu'à notre besoin de rêver, de croire, de créer.

2 commentaires:

Adrienne a dit…

fan absolue de Barrico depuis Soie et surtout Novecento... je viens de me rendre compte que je dois encore lire City, acheté lors d'un précédent voyage en Italie :-)

Lucie a dit…

Tous ces points en commun entre nous :)