Wandelweiser... un groupe, une esthétique, une façon unique de penser la musique. Que le mot Wandelweiser juxtapose changement et sagesse n'est certes pas fortuit. Ici, les compositeurs mettent la main à la pâte et se révèlent aussi interprètes. Plutôt que d'accepter l'isolation inhérente au métier, ils décident d'unir leurs forces, leurs points de vue, et offrent à tout coup une expérience déstabilisante, pourtant toujours parfait cohérente et organique. Le compositeur autrichien Radu Malfatti décrit d'ailleurs cette musique comme une « évaluation » et une « intégration » du silence/de silences, une réaction au « tapis de sons se déroulant à l’infini ». L'auditeur doit accepter de laisser ses attentes de tensions devant automatiquement connaître une résolution dans un espace-temps à des années-lumière de ce que les membres de Wandelweiser proposent.
Toujours à l'avant-garde, le Quatuor Bozzini s'est uni au collectif international pour offrir un weekend immersif, pendant lequel quelques chanceux ont pu apprivoiser l'électro de Manfred Werder et Antoine Beuger confortablement installés sur des matelas vendredi et les curieux profiter de trois concerts en rafale samedi, se réapproprier l'essentiel Christian Wolff dimanche et découvrir des pages du Canadien Daniel Brandes (une commande pour les deux ensembles juxtaposés), de l'Allemand Thomas Stiegler et de l'Autrichien Radu Malfatti.
A tenuous "we" de Daniel Brandes se veut une page de poésie minimaliste, qui donne à l'auditeur le sentiment de contempler un paysage tellurique, en apparence statique, mais pourtant en constante évolution. Une impression d'assister à la naissance du monde, dans un calme intérieur presque impossible à atteindre ici, les bruits de portes et les échos de la bruyante salle du bar de la Casa del popolo venant constamment troubler ces instants suspendus.
Treibgut (Épave) de Thomas Stiegler, pour violon et violoncelle, transpose en musique une subtile oscillation, presque hypnotique, alors que Gelbe Birne III (Poire jaune III, pour violon, clarinette et violoncelle) relève de la nature morte sonore. On s'attarde sur les reflets du son, sur le miroitement, par moments incapable d'appréhender le moment où le son devient silence. De format plus ambitieux, Gelbe Birne VI pour quatuor à cordes naît d'un unisson, duquel s'extirpe l'un ou l'autre des instruments, sur lequel s'érigera éventuellement une structure qui semble disparaître aussitôt ses formes clairement esquissées, les instruments à cordes donnant l'impression de se transformer en instruments à vents à la fin, avant que le frottement des archets sur les chevalets ne se dissolve entièrement dans le néant. Und. Ging. Außen. Vorüber (Et. Suis parti. À l'extérieur. Au-delà de) m'a rappelé un peu Kurt Schwitters. Trois voix, l'une chuchotée, l'autre chantée, la troisième scandée (chaque mot, la plupart d'une syllabe, se déclinant en une pulsation), se juxtaposent, s'entremêlent, finissent par se dissocier après l'intervention de trois radios, l'oreille se trouvant d'une certaine façon suffisamment « nettoyée » pour enfin reconnaître les mots de cette improbable et presque dadaïste liste.
L'après-entracte était consacré à l’œuvre au long cours du tromboniste et compositeur Radu Malfatti, éminence grise du Wandelweiser, Darenootodesuka, une cinquantaine de minutes de travail sur le silence plutôt que sur la musique, à l'image du 4'33'' de Cage par instants, particulièrement envoutant. On aurait ici souhaité des chaises plus confortables, l'immobilité étant de mise si l'on souhaitait ne pas trop ajouter de strates sonores au silence, déjà amplement troublé par le vrombissement du système de climatisation et les multiples autres scories. Les musiciens semblaient totalement habités par ces longs moments suspendus, pourtant non dépourvus de façon paradoxale de direction. À aucun moment, des applaudissements intempestifs ont été retenus, les spectateurs, devenus participants, semblant fondre leurs respirations les unes dans les autres.
Un programme exigeant, mais profondément stimulant.
1 commentaire:
Lire ce billet, c'est revive cette soirée...
Magnifique transposition en mots de ce moment...
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