vendredi 11 novembre 2011

Devoir de mémoire

Le programme d'hier soir de la SMCQ se voulait un hommage à Maryvonne Kendergi, qui se décrivait elle-même comme la « vieille grand-mère » de la musique contemporaine. Table ronde proposée avant le concert, exposition dans les foyers de la salle, vidéo de présentation avant le concert, la SMCQ a honoré de noble façon la mémoire de cette pionnière. Le concert, à géométrie variable, s'inscrivait également dans le cadre de la série Hommage à Ana Sokolovic, née à Belgrade en 1968, mais installée au Canada depuis le début des années 1990. Il comportait donc deux œuvres de la compositrice: son Hymne d'Orford, commande passée par le Centre d'arts Orford pour son 60e anniversaire, qui tisse en une même courte pièce musique traditionnelle serbe et rythmes québécois, hors-d’œuvre sympathique de trois minutes, et sa Ciaccona (datée de 2002), basée sur huit accords, en sections contrastantes misant sur les superpositions de textures et d'attaques.

Entre les deux, Walter Boudreau avait glissé une relecture de La création du monde de Milhaud, ballet créé à Paris en 1923, aux rythmes africains fortement infusés de jazz, qui prenait ici une couleur presque postmoderne, juxtaposé aux autres œuvres présentées. Marc Boivin et Chi Long offraient une nouvelle interprétation dansée de l’œuvre dans une vidéo qui, par moments, distrayait plus qu'elle ne renforçait le propos musical. J'aurais peut-être souhaité une direction un peu plus « musclée » ici et là, mais je tiens à saluer la sonorité riche et ample, particulièrement raffinée, de la saxophoniste Chantal Leclerc, qui a brillé lors de toutes ses interventions. La vidéo m'a semblé mieux intégrée dans Chute libre, création de Julien-Robert Legault Salvail particulièrement atmosphérique.

La SMCQ innovant hier en ouvrant sa salle de concert aux internautes du monde entier, j'ai quitté en vitesse à l'entracte, histoire de vivre la deuxième partie du concert autrement. Saluons ici les prises de vue dynamiques, la qualité de la transmission et le plaisir réel d'avoir l'illusion de se glisser presque littéralement sur la scène du Centre Pierre-Péladeau. Music for a Thousand Autumns d'Alexina Louie fait la part belle au piano et aux percussions (Matthieu Fortin a su donner à la partie de piano, notamment la longue cadence, densité et brio), en trois mouvements, dans lesquels la compositrice tresse adroitement des éléments de musique traditionnelle chinoise aux textures instrumentales. La pièce, écrite peu de temps après la mort prématurée de Claude Vivier, se veut un hommage au compositeur et une réflexion sur le rôle de l'artiste. « Sa mort m’a fait beaucoup réfléchir à la contribution de l’artiste au monde et à ce qui existe après la mort de celui-ci. Il m’est apparu très clairement durant la composition de l’œuvre que c’est notre musique qui reste très longtemps après que nous soyons partis », explique judicieusement la compositrice dans sa note de programme.

La soirée s'est terminée sur la création de Musiques immergées d'Alex Pauk, pour ensemble instrumental plus imposant et bande, reproduisant certains sons naturels issus de l'environnement (pluie, vent, vague, chant d'oiseaux, tonnerre, etc). Tout au long de la pièce, on assiste à une juxtaposition entre sonorités orchestrales et sons naturels, tour à tour traitée de façon antagoniste, comme une superposition de couches ou en jouant sur les glissements de masses sonores. Introspective, poussant à la réflexion, à percevoir plus loin que les sons entendus, les apparences, les diktats, la pièce s'avère particulièrement efficace et continue d'habiter, les dernières notes envolées. Elle mériterait sans aucun doute d'être entendue de nouveau ou enregistrée.



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