samedi 5 mai 2012

L'amante du Rif

Décors de cartes postales, couleurs saturées presque à outrance, recherche esthétique concertée - parfois à la limite de l'esthétisant -, L'amante du Rif aborde les problématiques de la femme marocaine à plusieurs niveaux et se veut un film à la fois féministe et féminin. Bien sûr, la réalisatrice Narjiss Nejjar revendique haut et fort, surligne à (à l'occasion très) gros traits la soumission traditionnellement associée aux femmes, mais aussi l'enclavement des esprits et une certaine sclérose des mentalités. En contrepoint, elle propose aussi un regard intime sur sa jeune héroïne Aya, qu'effleure la tendresse non dépourvue d'une certaine ambiguïté partagée avec la meilleure amie de celle-ci, sa volonté de vouloir adopter une autre route que celle que lui dicte la tradition - dut-ce ce geste la conduire à sa perte. « Je ne veux pas te ressembler; toi, on t'a éteinte de l'intérieur », dit-elle à un moment à sa mère, déchirée par sa volonté de vouloir venir en aide à sa fille et le poids des traditions millénaires.« Dis-leur que je ne voulais pas marcher sur une ligne droite, rêver les yeux bandés », confiera-t-elle presque à la toute fin.

La réalisatrice s'est librement inspirée du roman éponyme de sa mère Noufissa Sbaï (lui-même basé sur une histoire vraie) pour en extraire un canevas qui lui permet de raconter cette histoire à sa façon, certes littéraire. De façon complémentaire, quand elle suggère à travers un geste, une image, le propos devient alors sublimé. Il faut souligner ici la pluralité des registres de Nadia Kounda, jeune comédienne de 22 ans qui étudie maintenant le cinéma à Montréal. Qu'elle transmette son côté mutin (quand elle veut démontrer à Moune par exemple, venue filmer le Maroc - troublante mise en abyme de la réalisatrice ici - qu'elle est devenue une excellente comédienne), nous laisse deviner combien elle est envahie par le souvenir du  « Baron » (trafiquant de haschich de sa région qui lui arrachera sa virginité), défie l'ordre établi ou se perde dans la musique ou la danse, elle sonne juste.

Les parallèles établis avec la Carmen de Bizet (chantée tantôt en français, tantôt en arabe, tantôt métissée sans que cela n'ait choqué la puriste) et celle de Carlos Saura fonctionnent bien et se veulent aussi bien rappel de la trame narrative de la nouvelle de Mérimée que de l'absence du père qui travaille sur un bateau en Espagne pour assurer la subsistance de sa famille (et qu'un des frères ira rejoindre). Ce jeu de miroirs se transmet aussi dans le choix des prises de vues, qui multiplient réflexions et utilisation de filtres (voilages, fer forgé, barbelés...) Ce film se veut-il le portrait du Maroc d'aujourd'hui? Peut-être pas. (Après tout, l'histoire se termine au début des années 2000.) Se veut-il un cri du cœur, même si parfois maladroit? Assurément. « Aimer un pays, c'est le regarder en face », a d'ailleurs expliqué la réalisatrice lors du débat étrangement houleux ayant suivi la projection. « On n'avance pas en tournant le dos aux choses. »

Le film sera projeté de nouveau demain soir 20 h.

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