L’ECM+ fête peut-être son premier quart de siècle cette année, mais il ne saurait en aucun cas être question de se reposer sur ses lauriers. Pour clore sa saison, il ne fera plus qu’un avec l’Ensemble Appassionata, afin de présenter un programme relevé, qui juxtapose L’Amour sorcier à trois œuvres canadiennes, dont deux créations. « Pouvoir faire des créations pour orchestre symphonique reste l’un de nos objectifs depuis longtemps et Appassionata aime inclure la création à sa programmation, même si elle ne s’inscrit pas nécessairement dans son mandat principal », explique Véronique Lacroix, directrice artistique de l’événement, en entrevue. Elle partagera le podium avec Daniel Myssyk, les deux dynamiques chefs dirigeant chacun une moitié du ballet de Manuel de Falla. « La musique, très écrite, comprend déjà beaucoup de détails très éloquents, le style parle de lui-même », précise Véronique Lacroix quand on s’interroge sur les défis de transmettre ici une même vision artistique. Elle souligne également la grande modernité de la partition révisée en 1916. (La partie de soprano sera ici interprétée par Julie Boulianne, qui connaît une année remarquable sur la scène internationale.) « L’orchestre reste très original, les rythmes complexes. La musique contemporaine s’inscrit dans la tradition de la musique classique; il ne devrait pas y avoir de différence entre les deux. On doit aborder une œuvre classique comme si elle était nouvelle, comme si nous l’entendions pour la première fois. »
Juxtaposer une œuvre plus connue aux créations permet aussi de guider l’auditeur. « Se jeter dans l’inconnu peut être amusant, avance la chef, mais c’est également agréable d’avoir les pieds dans le fond. Avec de Falla, on peut identifier un langage, des groupes orchestraux. J’ai toujours voulu rejoindre un grand public et les gens ont souvent peur de ce qu’ils n’ont jamais entendu. L’oreille demeure le sens le plus frileux; après tout, rien ne peut éveiller la peur comme le son. »
L’ajout de visuel, qui transforme l’expérience de concert en spectacle, se révèle un autre atout pour maximiser la réceptivité du public : « Je pense que c’est une bonne direction à prendre pour faire connaître la musique. » Ici, pas besoin d’expliquer les choses, on s’abandonne simplement à la création, joue avec le rêve. La vidéo de Foumalade (qui avait déjà collaboré l’année dernière avec l’ECM+ pour Les Cinq As, tout comme Matthias Maute, qui signe de nouveau le scénario) a été travaillée de façon organique et vise à exprimer une idée de déploiement dans le temps et la densité. « Nous ne voulons pas remplir l’espace de façon trop opaque, prévient-elle. Le visuel ne doit en aucun cas agresser; il faut assez d’espace pour recevoir la musique. » La trame visuelle ne cherchera pas à recréer l’histoire, mais plutôt à en transmettre la logique et les courbes musicales.
Les trois œuvres contemporaines s’inscriront avec naturel entre les quatre segments du ballet, étrange triangle amoureux entre une femme, le fantôme de son ancien amant et son nouvel amour. Quimera d’Analia Llugdar se veut un prolongement de l’univers musical du compositeur espagnol et d’Invitation à l’air, un poème de Rafael Alberti. « Un souvenir d’enfance, le sentiment de mystère et d’admiration qui avait suscité en moi la visite à six ans de la maison de Manuel de Falla en Alta Gracia, Argentine, imprègne la composition de cette pièce, explique Analia Llugdar dans ses notes de programme. Telle une chimère, une fantaisie, j’ai voulu recréer cette visite dans mon imaginaire musical et intégrer de la poésie d’Alberti dans cette maison de Falla qu’il a également pénétrée et qui a été le témoin d’un riche univers de la culture espagnole. » Nine Proverbs d’Ana Sokolovic, d’après une peinture satirique de Pieter Brueghel le Jeune, misera sur la présentation littérale des proverbes (notamment à travers la vidéo) et permettra à l’auditeur une réflexion ludique. Dans Re(volution), Andrew Staniland jouera aussi bien avec ses possibilités électroacoustiques que mélodiques de la guitare électrique, dans un concerto légèrement décalé, interprété par Tim Brady. « Quand je joue ma propre musique, la ligne entre compositeur et interprète reste assez claire dans ma tête, mais je me laisse une certaine souplesse. C’est ma musique après tout et je peux la changer comme et quand je veux, résume-t-il. Jouer la pièce d’Andrew m’impose toutefois une approche totalement différente de cette pratique que j’adopte habituellement. Il faut que je joue sa musique, exactement comme il l’a imaginée. » Le titre se veut aussi bien un clin d’œil à Évolution, dernière édition du concours de composition de Radio-Canada (tenu en 2009) que référence à la révolution espagnole. Allusions au flamenco, mais aussi suggestions de mouvements de foules, radios, chaos et coups de fusil se tissent à la partition, traitée de façon presque psychédélique par Foumalade, avec fausses perspectives à la Escher.
Chaque création aura été travaillée en profondeur (une moyenne de six heures de répétition par œuvre). « Nous voulons donner la chance aux compositeurs d’entendre une œuvre orchestrale relativement maîtrisée, explique la chef de l’ECM+. Il faut aller chercher l’essentiel, le corps, le cœur de la création. Au début, on est pris dans la forêt. On essaie d’avancer, mais il faut casser des branches pour voir plus clair. On ouvre le chemin, tasse des souches, des roches, pour savoir où mettre les pieds. Seulement après, peut-on voir la montagne. En tant que chef, j’ai commencé à nommer les choses, les objets, les textures. Cela permet ensuite de se rendre à la plasticité, à un niveau compréhensible pour une oreille qui n’a jamais entendu l’œuvre. » Et si, au fond, tout cela n’était pas si sorcier?
EDIT du 30 mai: Des dégâts d'eau importants, suite au déluge d'hier soir, empêchent la tenue du concert ce soir. Il sera reporté.
Mercredi 30 mai, 19 h 30, salle Pierre-Mercure. Pour en savoir plus...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire