Certains livres semblent croiser votre route précisément au bon moment. Pourrait-on en dire autant d'un film, documentaire de surcroît? J'ai certainement eu cette impression samedi quand je suis sortie, complètement bouleversée, du visionnement de Marina Abramovic: The Artist is Present.
Le film suit l'artiste, alors qu'elle se prépare psychologiquement et physiquement pour ce qui se révélera sans doute le moment le plus significatif de sa carrière côté reconnaissance: une importante rétrospective de son œuvre présentée au Musem of Modern Art de New York, de mars à mai 2010. On la découvre à la fois euphorique et vaguement terrifiée, lors du tournage de clips de présentation de l'exposition. Pour celle que l'on considère la « grand-mère de la performance », à qui l'on doit nombre d'événements d'une rare puissance, elle y voit enfin la réponse à la question qu'on lui a posée si souvent au cours de sa carrière: « But why is this art? » (Mais pourquoi est-ce de l'art?)
Pendant qu'à un étage du musée, on présente des vidéos et que d'autres artistes reproduisent certaines de ses pièces les plus célèbres, elle s'installera, chaque jour, pendant trois mois, presque totalement immobile, dans ce qu'elle appellera le « carré de lumière », lieu de rencontre silencieuse dans lequel, un membre à la fois, le public est invité à la rejoindre, d'abord de l'autre côté d'une table, puis éventuellement, sans barrière. Aucune parole n'est permise, aucun geste vers l'artiste toléré (il faut voir combien les gardes de sécurité sont aux abois): tout passera par le regard. La performance envahit, se prolonge dans le quotidien, tant dans la vie de l'artiste que des participants ou témoins de ces troublants « dialogues d'énergie », geste artistique qui questionne, émeut, agresse, soulage tour à tour. Intercalées entre ces brèves rencontres, d'une intensité souvent fulgurante, les coréalisateurs reviennent sur la carrière de l'artiste, sur sa relation amoureuse avec Ulay (véritable coup au cœur, tant pour l'ancien couple que pour le spectateur, quand il s'assoit devant elle au musée), sur la nécessité pour Marina de toujours jouer, d'avoir un besoin viscéral de l'amour du public - de lui faire l'amour - pour se réaliser.
Je suis sortie de la salle incapable sur le coup de verbaliser ce que je venais de vivre, avec la sensation d'être totalement drainée et apaisée à la fois, par la puissance de son regard, son expressivité, la douleur qu'on lit en un instant sur le visage des gens qui s'assoient devant elle. Cela aurait pu être froid, clinique; au contraire, après une mise en contexte, l'émotion éclabousse, sans filtre ou presque. Le réalisateur Matthew Akers explique pourtant que, formé à l'université en peinture et en sculpture, il ne croyait pas alors au « performance art » et était très sceptique en acceptant de se joindre au projet. Pourrait-il transmettre le côté évanescent, délétère, d'un événement qui, par définition, ne peut être fixé dans l'instant et n'a pas besoin d'être documenté? Aucun doute dans mon esprit: le défi a été brillamment relevé.
2 commentaires:
Bonjour Lucie,
Voilà quelque chose qui me rend sceptique et même indifférent. L'art, pour moi béotien incorrigible,doit être pérenne et compréhensible sans explications.
Ceci dit j'ai de l'admiration* pour ceux qui apprécient et comprennent.
* et un peu d'envie.
Le Papou
Pour moi, l'art doit faire ressentir, questionner, habiter l'auditeur/visiteur/spectateur...
Je pense qu'il peut être pérenne et faire tout cela. Qu'il soit éphémère ne minimise pas nécessairement la portée du geste.
En même temps, il y a tellement de démonstrations complètement vides de sens et il est parfois difficile, quand on en est contemporain, de séparer le bon grain de l'ivraie (et le récepteur lambda manque souvent de vocabulaire pour le faire - je ne pose ici aucun jugement de valeur).
Je pense qu'ici le documentaire devient œuvre d'art, portrait de Marina et de son époque (troublée il faut l'admettre).
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