lundi 17 juin 2013

Sept jours sur le fleuve

« Un bon livre est le plectre qui fait vibrer nos lyres, qui le reste du temps sont silencieuses. Il n’est pas rare que nous attribuions l’intérêt qui appartient à la suite non écrite que nous lui donnons au corps écrit et, partant, sans vie de l’œuvre. Cette suite est la partie indispensable de tous les livres. » (p. 417)

J'ai découvert Henry David Thoreau il y a plusieurs années, à travers des extraits de son Journal, dans un très beau livre illustré (que j'ai emprunté à la bibliothèque, mais jamais retrouvé en librairie), publié aux Éditions Pierre Terrail. Je me suis ensuite plongée dans La désobéissance civile (devenu d'une troublante pertinence lors du Printemps érable), puis Walden ou la vie dans les bois et quelques essais isolés. Si j'avais en apparence délaissé la lecture de Thoreau, il continuait de m'accompagner. En visite au Massachusetts il y a quelques années, j'avais notamment visité avec une réelle émotion Walden Pound, un lieu assez magique, que se sont appropriés les habitants du coin, qui s'y baignent, y font du canot, y pêchent, y joggent, y piqueniquent... Récemment, j'ai vu Les hivers de grâce, montage dramaturgique réalisé par Denis Lavalou à partir des écrits de Thoreau, et assisté à une des causeries organisées en périphérie de l'année Thoreau (sur laquelle je reviendrai d'ailleurs pour un numéro ultérieur de la revue Jeu).

Sept jours sur le fleuve vient tout juste d'être traduit en français, 160 ans après sa publication en anglais à compte d'auteur par Thoreau (qui a dû racheter 706 des 1000 exemplaires imprimés!). Le transcendantaliste américain y revient sur un voyage effectué en compagnie de son frère John, qui devait mourir peu après, sur les eaux de la Concord River et du fleuve Merrimack. On ne parle pas réellement ici d'un récit de voyage, car Thoreau y a travaillé une dizaine d'années après le fait, désireux sans doute de faire revivre autrement son frère adoré. S'il s'inspire des notes prises alors, l'auteur y intègre un journal de réflexions particulièrement touffu, ramassé de façon symbolique sur sept jours (en référence à la Genèse), dans lequel il s'interroge certes sur les liens qui unissent homme et Nature (il travaille d'ailleurs sur Walden alors qu'il peaufine ce texte), mais aussi sur ceux entretenus par l'homme avec un être suprême (il s'appuie aussi bien sur des références à la Bible qu'aux penseurs grecs, perses, chinois ou hindous), le créateur (particulièrement le poète) avec son œuvre, mais aussi l'homme avec ceux qui l'entourent. On y trouve notamment de merveilleuses pages sur l'amitié.

« Aussi sûrement que le crépuscule en mon dernier novembre me transportera dans le monde éthéré, en me rappelant le matin rubicond de la jeunesse, aussi sûrement que la dernière note de musique qui glissera dans mon oreille quasi sourde me fera oublier mon âge, en d’autres termes : aussi sûrement que les multiples influences de la nature perdureront pendant le temps de notre sur terre, mon Ami restera mon Ami et détournera un rayon de Dieu sur moi, et le temps élèvera, ornera et consacrer notre Amitié, comme les ruines des temples. Je t’aime, mon Ami, comme j’aime la nature, les oiseaux qui chantent, le charme chatoyant, le courant des rivières, le matin et le soir, l’hiver et l’été. » (p. 303)

Pour apprécier entièrement ce livre, il faut accepter d'adopter un rythme de lecture autre, les digressions et les références parfois très pointues s'y multipliant. On voudra peut-être le savourer en petites tranches de quelques pages, sur le bord d'un lac calme au petit matin ou du moins au milieu d'un espace-temps qui favorise pleine liberté d'esprit.

« Il y a deux classes d’hommes qu’on appelle poètes. Les uns cultivent la vie, les autres l’art – les premiers cherchent des alignements pour se nourrir, les seconds pour leur saveur ; les uns satisfont leur faim, les autres font plaisir à leur palais. Il existe deux types d’écriture, aussi noble et rare l’une que l’autre : dans le premier cas, l’écrivain a du génie ou de l’inspiration, dans le second, il a de l’intelligence et du goût, dans les interstices de l’inspiration. » (p. 398)

4 commentaires:

Topinambulle a dit…

Très beau billet, parsemé de citations bien choisies. Merci Lucie. Je retrouve bien le mystique Thoreau de l'amitié et de la poésie :)

Lucie a dit…

Celui-là a tout pour te plaire, je le sais! :)

Anonyme a dit…

Merci pour cette recension, je partage votre enthousiasme. Mon avis ici :
http://www.les-lettres-francaises.fr/2013/05/thoreau-aux-sources/
http://letrebuchet.wordpress.com/2013/05/06/thoreau-sept-jours-sur-le-fleuve/

Lucie a dit…

J'ai lu avec beaucoup de plaisir votre recension. Merci du partage!