lundi 14 novembre 2011

Céder à l'enchantement

Au milieu d'une saison écourtée, relativement conservative, l'Opéra de Montréal ose offrir en première québécoise Rusalka de Dvorak, connu des amateurs d'art lyrique grâce à son magnifique « air à la lune » (entendu dès le premier acte, juste avant que la nymphe des eaux accepte les plus grands sacrifices pour enfin connaître l'amour charnel du prince), mais sinon peut-être plus difficile à vendre. Peut-on encore espérer séduire un public parfois frileux? Oui, si l'on en croit la production, réussie à plus d'un niveau, présentée en première samedi soir salle Wilfrid-Pelletier.

(La photo est d'Yves Renaud.)

Quoi qu'aient affirmé nombre de prépapiers publiés, l'histoire de Rusalka n'est aucunement difficile à suivre. Tout un chacun garde en mémoire l'histoire de la Petite sirène, que ce soit dans la relecture d'Andersen ou la version épurée (ou aseptisée) qu'en a tiré Walt Disney. Ici, l'immortelle est prête à renoncer à ses acquis, troublée par ce prince qui se baigne dans ses eaux à la nuit tombée. Comme plusieurs, elle connaîtra un instant d'extase, espérera connaître la félicité éternelle, mais se verra trahie par celui à qui elle a tout sacrifié, un être lâche comme le sont souvent les hommes. Dvorak mise sur ses dons évidents d'orchestrateur pour transmettre le récit de cet amour condamné avec raffinement et poésie. La musique, moteur du propos,  enveloppe le spectateur dans un cocon qui favorise l'évasion dans un monde imaginaire, même si elle n'est pas ponctuée d'airs attendus.

Au sein de la distribution internationale, il faut saluer la présence scénique de Kelly Kaduce en Rusalka qui habite l'espace, même quand elle ne chante pas (alors qu'elle assiste, impuissante et muette, à la trahison de son bien-aimé), la puissance remarquable d'Ewa Biegas (dans le rôle de la princesse étrangère aux charmes de laquelle le prince cédera) et l'aplomb de Robert Pomakov en roi des eaux. Khachatur Badalyan n'aura pas réussi à me convaincre dans le rôle du prince, peinant par moments à s'extraire de la pâte sonore de l'orchestre et à donner une crédibilité au personnage.

Grâce à une technologie particulièrement efficace, composée d'un dispositif de panneaux à diodes électroluminescentes (DEL) qui permet la projection (sur les trois surfaces verticales et le plancher) d'une multiplicité d'éléments visuels et d'éclairages, la scénographie somptueuse projette d'emblée le spectateur dans un univers parallèle, entre la profondeur des fonds marins et la touffeur de la forêt (le confondant parfois), entre jour et nuit, entre rêve et réalité. Cet encadrement visuel permet également de mieux délimiter la scène, facilitant par exemple des superpositions entre avant-plan (par exemple quand Rusalka hésite avant de se présenter au bal) et arrière-plan (alors que des danseurs évoluent derrière un tulle). Les chanteurs peuvent aussi plus facilement projeter leur voix, l'« action » se déroulant plus près du spectateur.

Si ce dernier accepte de pratiquer le lâcher prise et de se laisser porter par ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il ressent, il sortira de sa soirée envouté. Cela n'arrive certes pas si souvent à l'opéra...

En complément, cette vidéo vous permettra de mieux saisir la puissance des éléments visuels. Il vous reste trois soirs pour vous glisser en salle: demain, jeudi et samedi.

2 commentaires:

Adrienne a dit…

ce n'est pas non plus le genre d'opéra qui m'attire le plus mais à la Monnaie j'ai vu une excellente mise en scène de Rusalka, avec une émotion convaincante...
au plus je te lis, au plus que je me dis que c'est super, le Canada, et Québec :-)
mais je ne sais pas si j'y arriverai un jour...

Lucie a dit…

Tu es la bienvenue chez moi quand tu veux, Adriene :)