Une rencontre professionnelle dans la région de la capitale nationale m'a empêchée jusqu'ici de vous parler du concert de l'Orchestre national des jeunes du Canada, qui s'est arrêté à la Maison symphonique de Montréal vendredi soir dans le cadre de sa tournée annuelle. Faisant partie du paysage musical canadien depuis 52 ans, l'ONJC a eu maintes occasions de démontrer l'efficacité de sa formule. Walter Susskind, l'initiateur de l'orchestre, n'avait pas hésité à affirmer lors de sa formation: « Je vois la
création de l’Orchestre national des jeunes du Canada comme la
démarche la plus importante que nous pourrions entreprendre pour
garantir la croissance couronnée de succès et le développement des
grands orchestres symphoniques au pays. »
Se renouvelant à chaque année de par sa nature même (grâce à des auditions tenues dans 22 villes cette année), l'orchestre souhaite offrir avenues de perfectionnement (notamment grâce à un corps professoral de très haut niveau) et occasions de jouer en concert. Le programme proposé à Montréal, des plus relevés, mettait d'ailleurs remarquablement en lumière les divers pupitres de l'ONJC, que l'on vise le découpage des textures (comme dans le Concerto pour orchestre de Bartók, page magnifique trop peu jouée par nos « grands » orchestres malheureusement), dans la densité et la multiplicité des nuances (les Fontaines de Rome de Respighi) ou la peinture d'atmosphère (suite de Roméo et Juliette de Prokofiev, assemblée par le chef Alain Trudel).
Dès le premier solo de clarinette dans le Respighi, j'ai été soufflée par la maîtrise démontrée par les 95 musiciens (de 16 à 29 ans, choisis parmi 563 aspirants). Le son semblait sculpté, les textures oscillaient au fil des pages entre une transparence presque éthérée et une richesse foisonnante, l'articulation des motifs n'étant jamais négligée. La toute fin nous a laissé pantois, tant le raffinement du morendo abordait des zones d'une intimité presque bouleversante.
Puissance et multiplicité des ambiances ont été au rendez-vous dans le Prokofiev (malgré une légère chute d'intensité dans le « Madrigal » et le « Menuet »). Les dissonances tantôt assumées (« Montaigus et Capulets »), tantôt déchirantes (« Roméo au tombeau de Juliette »), la rythmique implacable dans les passages fortissimo, le travail de découpage des divers pupitres, permettaient à l'auditeur de suivre en musique le fil narratif de cette histoire éternelle.
Après l'entracte (et quelques discours, ceux-là parfaitement intelligibles, contrairement au premier de la soirée, démonstration implacable du non-bilinguisme de la grande majorité des Canadiens), le compositeur Nicolas Gilbert est venu expliquer, de façon ludique plutôt que dogmatique, les axes de son travail de composition sur Résistance, en trois sections qui misaient sur des jeux d'oppositions, des murs de son se fracassant sans ébranler la structure même du propos. Il a su faire une référence discrète au fameux printemps érable et la prolifération de carrés rouges), en soulignant également qu'au fond, n'y a-t-il pas plus grande résistance pour un jeune que de jouer d'un instrument dit classique.
Le programme plus que substantiel de la soirée se terminait par le Concerto pour orchestre de Bartók, bien rendu, particulièrement le « Jeu de couples » (chapeau à la capacité d'écoute des vents!) et l'« Élégie », véritable clé de voûte de cet édifice sonore. Deux rappels chantés (avec brio) ont complété cette soirée en tout point exceptionnelle. Dommage que la salle ait été si dispersée, canicule et vacances obligent. L'Orchestre national des jeunes du Canada aurait certes mérité d'être entendu par un plus grand nombre. Avec de tels musiciens pour la défendre, l'avenir de la musique classique ne saurait être considéré en danger. Le sourire qui se lisait sur les visages des membres après chaque interprétation aurait peut-être pu aussi inspirer quelques-uns de nos musiciens « professionnels ». Saluons en terminant la pertinence des notes de programme d'Alex Dyck (pianiste de l'ONJC lors des saison 2009 et 2010), même si leur traduction française aurait eu avantage à être relue par un spécialiste (« conductor » devenant par exemple « compositeur »).
Claude Gingras de La Presse a lui aussi beaucoup apprécié sa soirée. À lire ici...
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