La Virée classique de l'OSM s'est amorcée hier soir. Déjà, on peut parler d'un autre immense succès, presque tous les billets ayant été vendus avant même que la première note ait été entendue. Le grand Menahem Pressler, 90 ans le 16 décembre prochain, en a profité pour offrir à une 5e Salle bondée une leçon de musique, un peu comme celles qu'il donne à ses étudiants de Bloomington en Indiana depuis bientôt 60 ans ou aux chanceux qui ont l'occasion de jouer pour lui dans le cadre d'un cours de maître ou d'une académie estivale. (J'en suis.)
Bien sûr, à un âge si avancé, les doigts ne suivent pas toujours absolument parfaitement et quelques bafouilles se sont glissées ici et là. Aucune importance, l'essentiel est ailleurs: l'articulation toujours impeccable, l'ampleur du phrasé, la cohérence de l'architecture musicale, un toucher riche et texturé, et surtout, le bonheur pur, absolument contagieux, de faire de la musique, de partager, aujourd'hui comme hier, les beautés du répertoire. S'il a consacré la plus grande partie de sa vie au travail de chambriste en tant que membre fondateur de l'exceptionnel Trio Beaux-Arts, depuis quelques années, il se fait plaisir et retrouve le répertoire concertant ou soliste, joue en quatuor. Doté d'une santé de fer, le petit homme, que l'on a envie de serrer dans ses bras dès qu'on le voit s'avancer vers le piano, maintient un agenda que plusieurs trouveraient exagéré. Mais pour lui, inutile de songer prendre quelques semaines de vacances en Floride quand on peut arpenter le monde et jouer dans les plus grandes salles!
Ses choix d'interprète (particulièrement au niveau de l'articulation de la main gauche) ne m'ont pas toujours convaincue dans le Rondo K. 511 de Mozart, mais ils m'ont fait réfléchir, envisager autrement une pièce que je connais pourtant bien (avec laquelle d'ailleurs j'ai inauguré mon piano à queue, il y a quelques années déjà), que j'aurais beaucoup de difficulté à jouer en public tant je la considère impudente, Mozart s'y révélant homme faillible et l'interprète ne disposant de nulle part où se cacher. Le concert était ensuite consacré à l'ultime sonate de Schubert, en si bémol, dans les méandres de laquelle plusieurs se sont perdus avant lui. Il l'a traversée avec une intelligence rare, polissant ici et là certaines modulations extraordinaires, travaillant le geste pour produire un son toujours plein, respirant à l'occasion avec sa main libre, comme il le fait souvent quand il joue avec d'autres.
Pour la première fois de ma vie, j'ai non seulement eu l'impression de comprendre chaque épisode de cette partition monumentale, mais d'en ressentir viscéralement la grande forme, d'enfin apercevoir clairement le fil conducteur qui lie les quatre mouvements. Après l'avoir entendue des dizaines de fois, y avoir plus d'une fois laissé voguer mon esprit sans pouvoir le retenir, j'ai eu envie de me procurer la partition et de me l'approprier. Bien peu de pianistes auraient pu me convaincre d'une telle chose.
Généreux jusqu'au bout des ongles, le maître a offert en souriant deux rappels: un Nocturne en do dièse mineur (posthume) de Chopin d'une rare tendresse et, clin d’œil à l'heure qui passait, un arrangement de la célèbre Berceuse de Brahms.
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