Doit-on réapprendre les codes mêmes de l'amour en cette ère de médias sociaux? Est-il devenu futile de souhaiter établir des liens véritables quand on peut tout apprendre de notre amoureux potentiel en consultant sa page Facebook ou ses comptes Instagram et Twitter? Serre-moi. Plus fort. d'Olivier Rousseau (présentée hier en première lecture dans le cadre de Zone Homa) aborde avec efficacité et une certaine finesse cette problématique des plus contemporaines. On s'attache rapidement à Marianne, dans la trentaine, incapable de ne pas espionner les moindres goûts de Louis, rencontré dans un bar, qui frémit quand on le serre très fort, mais refuse pourtant toute tentative d'attachement. Elle comprend qu'elle va souffrir, mais ne peut néanmoins pas s'empêcher d'aller au bout de ce rêve d'instants partagés à deux.
Si l'élu manque un peu de substance (il dispose de bien peu de répliques), les interactions du personnage principal avec ses meilleurs amis se révèlent particulièrement savoureuses. Alex, en apparence frustrée par la vie, au fond ne demande qu'à céder aux affres de la passion, tandis que Max, fleur bleue comme pas possible, croit encore que le prince charmant va descendre de son nuage pour lui déclarer sa flamme. Le rythme se veut soutenu, avec une belle alternance de trios et de monologues, le tout ponctué de quelques duos « amoureux ».
La symétrie de la structure aurait peut-être avantage à être brisée, mais il faut admettre qu'après le premier monologue (un plaidoyer pour la passion, très bien rendu par Gabrielle Forcier), on attend les autres avec une certaine impatience. Si celui de Marianne fait mouche (Marie-Ève Laverdure, aussi convaincante dans le registre explosif que dans les demi-teintes), celui de Max (Alexis Gareau) force la réflexion (« On ne pourrait pas avoir comme une cyberconversation... mais en vrai »?). Celui de Louis, qui confirme son incapacité à aimer (« Les questions sans réponse, ça me fait peur ») m'a semblé superflu ou à tout le moins plaqué. Le spectateur a déjà compris ses difficultés relationnelles; il aurait peut-être espéré cependant en connaître les causes profondes.
Cette première pièce d'Olivier Rousseau nous fait passer du rire presque incontrôlable (Quelle incroyable vengeance concoctée par Alex
envers l'un de ses ex grâce à Grinder!) à une réflexion
réelle sur le sentiment amoureux au 21e siècle. L'amour peut-il encore
se révéler « pur » quand la moindre palpitation peut être
projetée, acceptée, analysée, relancée, sur les réseaux sociaux? Troublant constat.
Je m'en voudrais de ne pas revenir quelques instants sur Les têtes baissées de Mickaël Lamoureux, présenté lundi, une pièce d'une rare maîtrise déjà, tributaire des univers de Serge Boucher, qui trace un portrait nuancé des relations familiales douloureuses et aborde la notion de l'inceste et du viol avec une rare délicatesse. « Le silence, c'est désarmant (...) Il gagne toujours. » Portée par une distribution exceptionnelle en lecture, cette pièce ne demande qu'à prendre vie sur l'une de nos scènes... dans un avenir rapproché, souhaitons-le!
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