Les scènes pastorales semblent, de tout temps ou presque, avoir inspiré les compositeurs. Pourtant, hormis certains essais que l’on pourrait qualifier de futuristes signés par Prokofiev et certains de ses contemporains, la technologie naissante broyant l’humain au passage, l’agitation si particulière des villes n’aura été que très peu transmise avant que quelques Minimalistes américains ne s’y frottent, que l’on songe à City Life de Steve Reich ou Koyaanasqatsi de Philip Glass. (Au Québec, Yannick Plamondon et son Autoportrait sur Times Square s’en sont approchés.)
Troublé autant que fasciné par l’effervescence urbaine, le compositeur Frédéric Chiasson, né en 1978 à Lamèque au Nouveau-Brunswick, Montréalais d’adoption, a souhaité sortir des sentiers battus et transmettre autrement cette multiplicité de strates sonores, non pas tant en offrant un portrait fidèle de la ville, défi plus facilement relevé par l’électroacoustique, mais en choisissant de communiquer « la sensation de la vie urbaine, ce que l’on voit, entend, sent », a-t-il expliqué en entrevue.
S’il avait d’abord considéré transmettre la folie du Quartier 10-30, avec ses manoirs construits à l’identique et la solitude inhérente aux lieux, prolongement autant que détournement de l’opéra-cabaret- BD Bungalopolis auquel il avait collaboré en 2010, qui « traitait de tout sauf de la banlieue », il s’est laissé inspirer par une aventure à vélo vécue par une amie, qui deviendrait le deuxième mouvement d’Urbania, commande de Jean-Philippe Tremblay pour l’Orchestre de la Francophonie, créée à Mont-Laurier le 27 juillet à Mont-Laurier, reprise à Montréal (Centre Pierre-Péladeau) le lundi 12 août. « J’ai voulu parler de la ville en tant que telle, créer des ambiances connexes », résume celui qui raconte avoir multiplié lors de son installation dans la métropole pour compléter sa maîtrise et son doctorat en composition des rencontres du troisième type avec des coquerelles aussi bien qu’avec des réseaux de prostitution.
Conçu pour la soprano Pascale Beaudin et un orchestre d’une cinquantaine de musiciens, cette pièce en quatre sections fait passer l’auditeur par une riche palette d’émotions, celui-ci devenant d’abord témoin du réveil de la chanteuse qui semble improviser une série de vocalises, avant que celle-ci ne sorte affronter le macadam et les automobilistes dans « Chevauchée cycliste », des rythmes asymétriques de jeux vidéo évoquant le combat entre la jeune femme et la rue, une fanfare de cors suggérant les klaxons impatients. On bascule dans un autre univers entièrement avec « Petite pousse », intégré à la demande de la soliste, une berceuse qui, au fur et à mesure que la plante grandit, prend elle aussi des proportions plus vastes. « Crache le cash » se veut finalement un énorme clin d’œil aussi bien aux impossibles chasses aux subventions qu’à la bossa-nova, à la samba et à l’électroswing. Entre pop et be-bop, la chanteuse adoptant une voix plus nasale qui rappelle celle d’Édith Piaf, le finale se décline dans un registre volontiers postmoderne, mais surtout permet d’engager un contagieux pas de deux avec le public, qui en redemande, une fois la dernière note envolée.
Lauréat de plusieurs prix (Société de musique des universités canadiennes, Prix de composition de l’Orchestre de l’Université de Montréal, lauréat du concours Saxotronics), Chiasson refuse pourtant de s’enfler la tête et mise essentiellement sur l’expressivité, alors que plusieurs de ses contemporains ne jurent que par la forme. « La musique est avant une sensation, considère-t-il. Il est important d’écrire une musique à laquelle l’auditeur puisse s’identifier. » Les louanges ne se sont d’ailleurs pas fait attendre lors des deux interprétations à ce jour de la pièce, une chanteuse allant jusqu’à lui demander une copie de la partition après l’avoir entendue à Ottawa. La fluidité du langage du compositeur a également permis une mise en place étonnamment facile d’Urbania en répétition. « L’orchestre a très rapidement trouvé ses marques. La musique que j’ai écrite est contemporaine aux musiciens; elle leur appartient autant qu’à moi! »
Pour entendre des extraits d’Urbania ou d’autres pièces du compositeur, on peut consulter son site Internet ici…
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