Salves bouscule,
questionne, déroute. Le ballet exige une participation active du spectateur qui
doit puiser dans des référents historiques, artistiques, sociaux,
psychologiques. Il ne laisse aucun répit, se dévoile par bribes, autant de
flashs cinématographiques qui, le temps que l’on en assimile les multiples
strates, sont balayés par un autre. Tissés à même une trame bruitiste, qui ne
laisse que bien peu de répit au conscient – qui cherche à décrypter les bribes
de discours, les propos, essaie de situer dans le temps ce qu’il entend –, de
courts tableaux, parfois en apparence futiles, souvent d’une rare puissance, se
font et se défont, se répètent, se métamorphosent, autant de confrontations
insidieuses avec la petite et la grande histoires.
Entre danse et théâtre, cinéma
et arts visuels, ce spectacle de la compagnie Maguy Marin, que l'on pourrait croire échevelé, est pourtant construit avec une rare rigueur. Les répétitions de
motifs, assemblés de façon musicale comme autant de leitmotive, servent de
ponctuation, renforçant un propos, un geste, instillant le doute, la réflexion,
incitant à toujours puiser plus loin que ce que l’œil perçoit pour atteindre un
niveau de compréhension autre, à la fois plus réfléchi et plus instinctif.
Dès les premiers instants, la notion de
fil, à la fois simple et enchevêtré, est clairement établie : fil
narratif, fil d’une histoire qui répète ses erreurs sans jamais apprendre, fil
d’Ariane qui permet de s’orienter dans cet univers souterrain, fil ténu qui
nous relie à notre voisin, notre contemporain, alors que nous avançons, souvent
seuls au milieu de la foule, freinés par les circonstances, les idéaux de nos
dirigeants, une situation économique ou sociale, bridés dans notre élan comme
ces corps qui s’élancent et se figent dans une position parfois sculpturale,
parfois grotesque.
Arrêt sur image, sur situation,
sur émotion. Retour sur la guerre, seule logique apparente du dernier siècle. Prise
de position franche contre la toute-puissance de la religion catholique, les
dirigeants qui écrasent le peuple. Réflexion sur l’art, à travers la présence
de peintures aux passés sulfureux, mais aussi à travers l’assemblage même du
ballet. Ici, la danse n’est que très rarement synonyme de beauté, de réconfort.
Elle déstabilise, irradie, fauche, habite si l’on accepte un certain
lâcher-prise.
Le regard que Maguy Marin pose sur
notre monde ne se veut pourtant pas uniquement glauque. Salves parle aussi de solidarité (réelle ou soufflée par un régime
plus ou moins totalitaire), de reconstruction (comme ces fragments rouges, dont
on ne comprend pas la fonction au début, qui deviendront de nouveau vases dans
lesquels glisser des fleurs), de liens qui se tissent et se défont, d’humanité. « Quand on est dans la merde jusqu’au
cou, il ne reste plus qu’à chanter », peut-on lire sur le tableau d’école.
On peut aussi choisir de se taire et de danser.
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