On a beau avoir lu les entretiens préspectacle, des critiques de la production présentée à Québec la semaine dernière, comprendre parfaitement le concept (dix volontaires apprennent un sonnet de Shakespeare en compagnie de Tiago Rodrigues), rien ne nous prépare entièrement à l'expérience très particulière de By Heart.
Après avoir vécu l'expérience Plaza en après-midi, on ne peut que sourire en voyant se précipiter sur scène dix braves (je m'attendais à une période de négociations passablement plus longue de la part de Rodrigues), dont une bonne moitié de jeunes du secondaire (belle idée des professeurs de les avoir amenés au FTA), certaines personnalités disons plus fortes ressortant immédiatement. Chœur ad hoc, ils apprendront tous ensemble les quatre premiers vers du Sonnet XXX, se laissant d'abord guider par la voix du chef devant eux, puis suivant ses mouvements. On les sent au fur et à mesure réaliser l'ampleur de la tâche qui leur a été assignée, avant de sentir le groupe porté par une volonté commune de bien faire, de bien paraître devant le public aussi, lorsque chacun héritera d'un vers supplémentaire, parfois plutôt alambiqué. « Les poèmes sont magnifiques. Chaque fois que je les lis, je découvre des choses nouvelles », aurait dit la grand-mère de Rodrigues et, en effet, à chaque audition, on entend une nouvelle allitération, comprend une autre image, ne peut nier la beauté éternelle des vers.
By Heart cependant va bien au-delà de cet apprentissage, de ce devoir de mémoire, de cet exercice que plusieurs pourraient considérer inutile, mais qui justement, de par sa nature même (comme le Tout Artaud?! de Christian Lapointe), prend un sens autre. Ne dissimulons-nous pas tous en nous des bribes de fables ou de poèmes étudiés à l'école jadis qui, parfois, nous reviennent, nous apaisent parfois? À travers une série d'anecdotes (au sujet de sa grand-mère qui, avant de perdre entièrement la vue, avait mémorisé justement quelques sonnets de Shakespeare, d'un entretien avec George Steiner mémorisé par Rodrigues, du geste de résistance du peuple soviétique entonnant un sonnet de Shakespeare à la suggestion de Pasternak, de Nadejda Mandelstam livrant chaque jour dans sa cuisine un poème de son mari à dix personnes, de Fahrenheit 451...), Rodrigues nous livre des pans de sa vie, mais surtout nous offre un espace de réflexion nécessaire, en un magnifique hommage à la mémoire, à la lecture et à la culture, véritable acte de résistance (comme ceux de Pasternak, de Mandelstam, de sa grand-mère) contre le nivellement vers le bas, l'abrutissement des masses, l'amnésie collective.
À voir ce soir ou demain, à la Cinquième Salle.
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