L'excellence des finissants de l'École nationale de cirque n'a plus besoin d'être démontrée. On forme des artistes de haut niveau, polyvalents, qui ont travaillé aussi bien leur musicalité que leur gestuelle, tout en se dédiant bien évidemment corps et âme à leur(s) discipline(s) de prédilection. Cependant, les réunir sur une même scène (en deux groupes distincts) n'est pas nécessairement synonyme de véritable expérience artistique. Il est en effet facile, surtout au cirque, de tomber dans une succession de numéros sans lien apparent hormis des transitions clownesques.
Rien de tout cela avec L'art de la fugue, une mise en piste brillante, parfaitement intégrée, d'Hélène Blackburn, qui se sert adroitement de diverses pages de Bach (tantôt présentées dans leurs attributs originaux, tantôt confiés à d'autres instruments ou remixées par Éric Forget) non seulement comme liant, mais comme inspiration - difficile ici de ne pas établir un parallèle avec Opus de Circa construit sur trois quatuors de Chostakovitch.
Gestes, accessoires, jeux d'éclairages deviennent autant de motifs qui se chevauchent, se répondent. On peut évoquer ici bien sûr les chaises (leur chute par effet domino offre un superbe premier tableau), la juxtaposition du blanc et du noir (hommage indirect au monde de la musique classique), le détournement des tutus, les « fuites » des interprètes qui rappellent l'essence même de la forme fuguée, mais je m'en voudrais de révéler trop d'éléments de cette partition dense, pourtant toujours parfaitement cohérente. (Bach aurait assurément apprécié un tel traitement, limpide mais jamais simpliste, de sa musique.)
Alors qu'habituellement, quand on sort d'un spectacle de cirque, on s'interroge à savoir quel numéro on a préféré, ici, on retiendra le tout, supérieur à la somme de ses parts. Le plaisir ressenti va au-delà du spectaculaire ou des préférences que l'on peut entretenir pour les appareils utilisés. Si tous les finissants ont offert des performances de haut niveau, tous ne transcendent pas (du moins encore) les limites physiques de leurs prouesses ou font preuve d'un même charisme. Il faut souligner ici celui indéniable de Charlie Mach (et l'originalité de son numéro de chaises acrobatiques), la présence plus grande que nature d'Eivind Overland au trapèze fixe et ce, dès les premiers instants de son numéro, l'intelligence avec laquelle Ezra Weill intègre son chapeau à son numéro de corde lisse (accessoire qui deviendra sa « marque de commerce » tout au long du spectacle), l'originalité du numéro de diabolo de Fabian Galouye (qui fait fi de tous les clichés associés à l'accessoire, qui me laisse habituellement indifférente) et celui de mât chinois (avec intégration de chaise) de Baptiste Clerc, sans oublier le lien immédiat qu'Aaron Marquise, en clown maladroit mais indéniablement attachant, a su établir avec le public (qu'il dispose ses chaises lors de l'entrée en salle, se mette les pieds dans les plats ou interagisse avec un heureux volontaire).
Une indéniable réussite!
Vous avez jusqu'au 7 juin pour voir ce spectacle ou Les étinceleurs (mettant en vedette les autres finissants). Informations et horaires ici...
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