samedi 17 novembre 2012

Jésus, Cassandre et les demoiselles

Emmanuelle Cornu possède une écriture unique, tantôt scalpel, tantôt pinceau, qui demande à être apprivoisée. La galerie de personnages étonne de prime abord, laisse perplexe, provoque parfois le malaise, jusqu’à que l’on réalise que, au fond, ces personnages évoluant sur le fil très mince de la névrose, pourraient être un voisin, une amie, un parent, soi-même, que ces textes sont portés par un insolite souffle universel, contes pour enfants pas toujours sages qui nous permettent d’accepter nos tares à défaut de les annihiler. N’avons-nous pas tous, à un moment ou l’autre, ressenti la peur de l’abandon (« Tu vas revenir dans quelques minutes », la narratrice tremblant à l’idée que sa copine l’a quittée), une solitude trop lourde (« Cale sèche », magnifiquement ciselé), une incompréhension envers une cellule familiale dysfonctionnelle (« Deux gigantesques pointes de tarte », trio pour père instable, grand-mère envahissante et trait d’union dépassé)?

Emmanuelle Cornu découpe, expose, polit, fractionne encore une fois la trame narrative, isole l’instant, s’attarde au geste, avant de laisser les fragments nous exploser au visage, autant de parcelles de douleur (« Madame »), de beauté (« Reconnaître madame D. à la courbe de ses  mollets », portrait en demi-teintes, presque nostalgique), de quotidien (« L’exercice d’incendie », l’inquiétude latente de chacun se révélant dans ses interstices), d’étrangeté (« Killer Rabbits »). La nouvelle au titre improbable «Broche “vitrail de papillon (rouge grenat) ”, catalogue no 14, printemps-été, p. 302 », aux éclats fractionnés (tout comme « Le miroir de Jean-Yves », intéressante relecture du double), m’est apparu d’une certaine façon condensé du recueil et aurait peut-être mérité d’en devenir clé de voûte. 

La ritournelle se veut partie intrinsèque de cette écriture si particulière, impose au lecteur un rythme de lecture, refrain que l’on retrouve avec plaisir assez souvent, mais qui à d’autres agace (« Super bouchée » et ses répétitions presque intempestives du mot SUPER).

« Il était une fois Lysandre et son trop beau projet. Trop beau pour entrer dans une seule vie. Pour se matérialiser, se légitimer. Il était une fois Lysandre l’artiste. Et son travail. Et son cœur découpé en autant de tableaux. » Des semaines après la lecture, plusieurs de ces instants volés continuent d’habiter. L’auteure saura-t-elle trouver un autre souffle pour accompagner des personnages de roman? On le souhaite.



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