photo : Amy Horvey, 2011 |
Ainsi, déjà, au milieu du premier des six mouvements de L'été deux mille douze, les harmonies modales rappelant par moments les chants gaéliques ou celtiques maximisaient un certain état de nostalgie qui ont fait surgir en moi certaines images plus ou moins refoulées des manifestations du Printemps érable, émotions canalisées dans le deuxième mouvement par le martèlement des pas de la chanteuse, le lyrisme du violoncelle s'opposant au côté militaire du piccolo (Geneviève Déraspe, excellente, commanditaire de l’œuvre avec Marie-Annick Béliveau). On passe ensuite du tumulte au calme éthéré, avec des pages troublantes pour violoncelle et piano. Le violoncelle devient voix humaine, avec des inflexions parfois presque douloureuses. Yegor Dyachkov n'a rien perdu ici de son impressionnante musicalité. Dans son solo, Brigitte Poulin a su démontrer une remarquable délicatesse de toucher (que l'on a pu apprécier également en ouverture de programme dans l'atmosphérique Vertigo Beach de Nicole Lizée). Le cinquième mouvement maximisait les oppositions entre calme (voix et piano) et fièvre (violoncelle). Saluons ici le travail des éclairages de Jonas Bouchard qui mettait en relief certains déplacements ou postures des interprètes. Le dernier mouvement, jouissif, reprend un texte de Gaston Miron. Avec des dons d'actrice consommée (qu'elle démontrera également en deuxième partie, alors que ses deux lectures de « Vissi d'arte » de Tosca, l'une pour diva, l'autre pour ténor caractériel, encadrent Bel canto, qui reprend en partie la ligne mélodique de l'aria, mais de façon déstructurée), Marie-Annick Béliveau devient Miron, inflexions et interruptions dans le débit incluses.
Après la cérémonie officielle de remise du prix Jules-Léger, on a pu entendre l’œuvre lauréate, Bel canto, hommage ému à Maria Callas, pour deux ensembles (un trio de cordes et un quatuor formé d'une flûte, d'une clarinette, d'une guitare et de la chanteuse). Marie-Annick Béliveau nous emprisonne rapidement dans les filets de sa voix, qui finit par posséder un caractère incantatoire. Comme chez Scelsi, la pulsation cardiaque de l'auditeur, bercé ou hypnotisé, finit par s'abaisser, les repères par se dissoudre. Le temps semble s'effilocher, le son enveloppe, devient châle dans lequel se blottir, se souvenir, oublier. Une étonnante expérience de lâcher-prise musical.
On peut découvrir plusieurs œuvres de la compositrice sur son site, dont Bel canto, que j'ai réécouté avec plaisir deux fois déjà.
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