« Il démontrait à la ronde, le jeu des soupapes et des valves, du guide-rope, des baromètres, des lois du lest, des pesanteurs. » (Céline, Mort à crédit)
On peut analyser des systèmes dépressionnaires, tenter de prédire le temps qu'il fera, mais il faut bien admettre que la météorologie reste une science que nous trouvons souvent bien imprécise. Si dans un pays comme le nôtre, sujet aux fluctuations extrêmes, la température reste un sujet infini de discussion, peut-on l'exprimer en gestes, la danser? C'est l'audacieux pari de Weather de la compagnie australienne Lucy Guerin Inc. que les chanceux qui auront réservé leur billet à l'avance peuvent voir à la Cinquième Salle ces jours-ci. Au fond, si on peut faire la danse de la pluie, pourquoi ne pourrait-on pas danser la pluie?
D'entrée de jeu, la chorégraphe nous plonge dans la matière même, alors qu'un danseur devient sous nos yeux - et nos oreilles puisqu'il produit lui-même le son - vent, happé et bercé par le souffle changeant d'Éole, avec des mouvements d'une extraordinaire fluidité. Délaissant un instant cette girouette humaine, le regard est happé vers le plafond de la scène, un nuage constitué de sacs de plastique génériques, qui nous rappellent qu'autant nous devons composer avec les caprices du temps, autant nos gestes peuvent aussi influencer son cours. L'oeuvre aurait pu se décliner comme un pamphlet écologique, mais refuse d'emprunter cette tangente, outre peut-être quelques allusions aux glaciers qui rétrécissent, une part de ces même sacs ayant été déversée sur scène, puis repoussée par un immense chasse-neige réalisé à l'unisson par les six danseurs, moment de grande beauté, ou lors d'un troublant duo - duel - d'hommes, alors que l'un de ceux-ci tente d'étouffer l'autre avec un sac (comme ces oiseaux qui meurent sous les débris?), qui deviendra quelques instants plus tard sac utérin duquel s'expulser pour (re)naître.
L'essentiel du propos est ailleurs, dans la décomposition et recomposition des gestes notamment, les danseurs devenant anémomètres, instruments de stations météo, adoptent des formations rappelant les isobares, en solo, en duo ou en sextuor. Rarement le groupe agit-il comme tel, un élément perturbateur (comme les systèmes météo) menant à la déconstruction du mouvement, dispersant les danseurs comme des feuilles au vent, cailloux roulant sous les flots puissants du torrent, billes de mercure s'échappant d'un thermomètre. On se laisse happer par la beauté pure de ces lignes qui se font et se défont, par ces dislocations des axes, porté par la très efficace musique originale d'Oren Ambarchi, les segments mélodiques naissant d'une pulsation, de façon presque hiérarchique.
Certains segments paraissent plus long, notamment celui où les danseurs jouent les uns des autres comme de marionnettes, multipliant les onomatopées ludiques, mais on se prend souvent à tomber dans une contemplation presque détachée de l'instant, comme lorsque l'on regarde la pluie ou la neige tomber, au chaud, derrière la vitre... oubliant le passage du temps.
La compagnie se produira également à Ottawa les 7, 8 et 9 novembre.
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