jeudi 13 février 2014

Get a Revolver

Peut-on, en cette ère d'apparente totale liberté, parler de n'importe quoi? Existe-t-il encore des sujets tabous, une fois que l'on a étalé le sexe sur la place publique? Assurément. Si vous voulez voir le regard de votre interlocuteur fuir en quelques secondes, évoquez devant lui la maladie mentale ou la démence. Pourtant, nous en avons tous été témoins, à un degré ou à un autre, et elles nous ont irrémédiablement transformés.

Avec Get a Revolver, la chorégraphe allemande Helena Waldmann propose un solo, tantôt déchirant, tantôt ludique, dans lequel elle rend un hommage touchant à son père, chimiste au sommet de ses capacités mentales qui, d'un seul coup, sur une période de plusieurs années, a senti celles-ci lui échapper. Elle a choisi de transposer cette histoire en confiant le premier rôle à la ballerine Brit Rodemund, qui a d'abord fait carrière comme soliste au Deutsche Staatsoper, à l'Aalto Ballett Theater et au Ballett Nurnberg, devenue agent libre depuis une dizaine d'années. Celle-ci personnifie à merveille une danseuse qui perd contact avec la réalité, mais dont les gestes sont encore profondément ancrés dans une codification de danse classique.

Je m'attendais à sortir bouleversée de la représentation, mais Helena Waldmann choisit de ne pas nous garder trop longtemps dans ces zones troubles - alors par exemple que la danseuse, immobile, laisse couler des filets de bave sur la scène ou qu'elle transmet de façon frénétique une séance mécanique de masturbation. Certaines scènes cherchent de fait à susciter le sourire - alors que la danseuse se livre à un numéro de claquette, se sert d'un modeste sac de plastique de couleur comme partenaire ou se fait plus ou moins attaquer par les mouvements intempestifs de ses chaussures. L'utilisation dans le dernier segment du miroir déformant réussit habilement à joindre dans un même geste ces deux extrêmes. Peu importe le tableau, on reste soufflé par la technique irréprochable de Brit Rodemund et la pureté de ses lignes.

La trame sonore, particulièrement travaillée, couvre un large spectre émotif, des analyses froides et cliniques d'un scientifique disséquant un cerveau atrophié par la démence (segment sans doute un peu long, parce que très technique) aux valses de Strauss, sans oublier en ouverture une presque démente musique de foire à laquelle se greffent le claquement d'un fusil à répétition, Unforgettable de Nat King Cole ou Ich bin der Welt abhanden gekommen (Me voilà coupé du monde) de Mahler, qui résume en quelques minutes suspendues tout l'amour de celle qui a choisi de transcender sa douleur (et notre inconfort) en mouvement.

Jusqu'au 15 février à la Cinquième Salle.

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