jeudi 6 février 2014

Il faut beaucoup aimer les hommes

Solange, une actrice française, fait carrière à Los Angeles. Elle enchaîne les petits et moyens rôles, côtoyant ce faisant Matt Damon, Steven (oui, celui-là) et (ce cher) George. Lors d'une soirée, elle rencontre Kouhouesso, acteur canadien aux longues dreads, né au Cameroun, insaisissable, incontrôlable, qui croise sa route au gré de ses envies, en personne ou à coups de SMS ambigus. Elle aimerait pouvoir s'en distancier, ne pas être brûlée par lui, mais dès les premiers instants, il est trop tard. 
« Puis elle a plongé au cœur du monde, avec lui, dans le champ de force, dans le brouillard qui engorgeait Laurel Canyon, dans le bonheur total, opaque et blanc, le bonheur qui désintègre. »
Ce pourrait être une histoire d'amour somme toute banale, condamnée dès le départ, non pas tant par la couleur de leurs peaux, que parce que Kouhouesso est rongé par ce projet d'adapter, en terre natale, le mythique Au cœur des ténèbres de Conrad. Il passe des journées entières en réunion de préproduction, à travailler son scénario, chercher du financement. Elle essaie de le soutenir, ombre discrète, néanmoins frustrée de manquer de densité à ses yeux. Il accepte de lui confier le petit rôle de la promise, ce qui permettra à Solange de découvrir son amant - mais aussi un continent - sous un autre jour. 

Alors qu'elle croit pouvoir enfin se rapprocher de Kouhouesso en tournant avec lui, elle réalise que, happé par son projet, il lui échappe encore plus, jusqu'à la fracture finale, fatale, annoncée presque d'emblée. 
« Mais la dernière nuit, il ne savait pas. Il ne savait pas lui-même, que c’était leur dernière nuit. Ça elle en était sûre, sorti du film il ne préméditait rien. Elle-même ne savait pas, personne ne savait, que c’était ça, leur dernière nuit. » 
Ici, les clichés sont énoncés pour être déboutés et c'est là que le livre de Marie Darrieusecq, que je n'avais pas relue depuis Truismes, se révèle le plus fort. On découvre certes l'Afrique à travers les yeux d'une Européenne, avec ses réticences à accepter un mode de vie, les croyances et les coutumes locales, les défis liés à une production cinématographique en pleine jungle, mais l'auteure réussit brillamment à retourner la plupart des poncifs contre nous. On referme le livre avec plus de questions que de réponses, encore habité par des images fortes, avec l'impression d'avoir malgré tout pu effleurer l'essence d'un continent, d'un idéal.






2 commentaires:

Karine:) a dit…

Si ce n'est pas trop bourré de clichés et de morale... je pense que je pourrais me laisser tenter!

Lucie a dit…

Et l'incursion dans le monde du cinéma est sympa! :)