samedi 19 avril 2014

D'autres fantômes

Un matin identique à des centaines d’autres, Albert se dirige vers le travail. Il pose un regard désabusé sur ses compagnons d’infortune, dont il ne connaît pas le nom, mais dont les visages font partie de son quotidien. Et puis, tout bascule quand une jeune femme se jette sur la voie. Incapable d’oublier ce qu’il a vu, Albert part à la recherche d’indices qui lui permettraient de mieux saisir les motivations de ce geste désespéré, de tracer un portrait de cette femme avant l’instant fatidique.

Ce qui s’annonce d’abord comme une étrange enquête journalistique ou policière se transforme rapidement en quête du soi, en acceptation plus ou moins aisée d’un passé auquel Albert croit avoir tourné le dos, qui surgit au détour des allées de cimetières ou des rencontres avec sa sœur, auteure de romans. Et si ce qu’il croyait être l’histoire de sa propre vie n’était au fond qu’une immense comédie dont il n’est pas acteur, mais simple spectateur?

Avec ce premier roman, Cassie Bérard frappe fort. Difficile d’admettre que ce projet d’écriture particulièrement abouti ait commencé à l’habiter dans la jeune vingtaine, tant le travail de fond semble impeccable. Tributaire du Nouveau Roman, D’autres fantômes évite pourtant nombre des écueils liés à cette pratique d’écriture. Oui, l’idée d’intrigue est détournée, les multiples rencontres faites par le narrateur ne servant au final qu’à alimenter sa quête identitaire. Oui, la position du narrateur est mise en doute dès les premières pages ou presque. Si cela sous-entend une lecture plus active et une maîtrise des codes du genre, elle ne se fait pourtant pas aux dépens d’un plaisir certain – et ce, au fil de quelque 400 pages. On s’attache à Albert, à ses lubies, à ses angoisses, même si parfois on a envie de lui crier de vivre sa vie plutôt que de chercher à reconstituer celle d’une inconnue. Mais cette recherche d’une altérité n’est-elle pas au fond le seul antidote possible à cette société devenue la nôtre, fortement individualiste, pétrie de malaises et d’insécurités? En reconnaissant l’Autre dans ses différences, dans son essence, ne parviendrons-nous pas à accueillir notre unicité?


Ce roman aux qualités littéraires évidentes, qui se passe à Paris, volontairement dépouillé de québécismes, refuse l’esbroufe. Il permet une réflexion des plus pertinentes sur la place que les morts, mais aussi les non-dits et les faux-semblants occupent dans nos vies. Il nous rappelle surtout que l’écriture reste encore et toujours une merveilleuse – sinon la plus grande – mystificatrice.  

3 commentaires:

caro a dit…

je crois que je vais le rapporter avec moi...

Karine:) a dit…

Aaaah... ça a l'air tellement bien! J'aurais nettement dû le prendre! :)))

Lucie a dit…

Caro: Tu n'as pas un anniversaire bientôt! ;)

Karine: Il n'est jamais trop tard...