J'ai ressenti une certaine fébrilité hier chez tous ceux que j'ai rencontrés. Une impression d'avoir besoin de s'exprimer, que chaque bulletin de vote allait compter, que le marasme habituel n'était plus une option. Les habituels « si j'ai le temps, j'irai » ou « tu sais, moi, la politique, bof » avaient été remplacés par « je suis allé ce matin » ou même, en plein cocktail de lancement de saison littéraire, « il faut que je me dépêche de rentrer chez moi, les bureaux de vote ferment à 20 h ».
Malgré les allergies qui m'épuisent ces jours-ci, je suis restée rivée à mon petit écran, fascinée par les revirements, les incertitudes. Résidant dans une circonscription qui n'a jamais voté autrement que libéral, représentée par un ministre influent du dernier gouvernement, je savais pertinemment en allant voter que je perdrais mes élections. Peu importe. Le Québec était quand même en train d'écrire une page d'histoire, en élisant une femme première ministre pour la première fois.
J'ai été renversée par la profondeur et la classe du discours de Françoise David, progressiste, écologiste, féministe. Aucune attaque, aucune parade, une honnêteté transparente, comme on n'en voit plus. Si François Legault n'aura pas renouvelé le genre côté salut aux troupes, Jean Charest, bon perdant, a quand même surpris. Mais c'était l'autre que l'on attendait, Pauline Marois, trahie par ses collaborateurs, honnie par le public, qui avait néanmoins refusé la défaite par KO.
Sentirait-on dès les premiers mots qu'une femme était maintenant aux commandes, que les choses se feraient autrement? En tournant d'emblée le dos à la harangue et en laissant place à la fierté (justifiée) de s'inscrire dans les livres d'histoire, elle a su en quelques phrases faire taire ses détracteurs. Elle n'a pas hésité à saluer le travail de ses adversaires, à souligner l'entrée à l'Assemblée nationale de la co-chef de Québec solidaire, a tendu d'emblée la main aux Premières nations (du jamais entendu), a glissé quelques mots rassurants en anglais. Certes, elle n'avait peut-être pas besoin de brandir le spectre de la souveraineté le premier soir, la victoire ayant été remportée à l'arraché. Mais quand j'ai vu les gardes du corps bondir sur elle, quand, quelques minutes plus tard, je comprendrais comme des milliers d'incrédules qu'un illuminé venait de tuer un homme et d'en blesser grièvement un autre (même si on ne savait pas encore à 1 heure du matin que l'un d'eux ne survivrait pas), j'ai eu peine à assembler les morceaux du casse-tête et les questions ont fusé. Avions- nous affaire à un masculiniste? Comment un homme cagoulé, vêtu de peignoir, muni d'une arme de poing et d'un fusil d'assaut, n'avait pas été remarqué, avait pu réussir à entacher la conclusion d'un processus démocratique? Qu'était en train de devenir ma ville?
Les prochains jours nous apporteront sans doute quelques réponses, à défaut d'un apaisement. D'ici là, tendons la main à l'autre, même si la méfiance tentera de s'installer. Mon Québec est multiple et c'est pour cette raison que je l'aime.
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