Pendant deux heures et demie, le film se déploie de façon organique. Si, au tout début, on peine à trouver nos repères, comme François qui ne sait plus tout à fait où il est ni ce qu'il vient de vivre, on apprivoise le récit par petites touches, par respirations (parfois hachurées). Le travail de scénarisation est exceptionnel et l'adaptation d'une fidélité presque maniaque. Pour m'en convaincre, j'ai lu la nouvelle hier et ai été soufflée quand j'ai réalisé la précision avec laquelle le moindre sous-texte et les plus subtils détails avait été transmis, que ce soit les traits physiques des personnages (la description des cheveux d'Amica, le front ravagé de la mère, la chevelure hirsute du vieux, la stature du colporteur), le côté indomptable du cheval Percival ou même la disposition physique des lieux. À peine Simon Lavoie a-t-il pris quelques (très légères) libertés lorsque certains éléments demeuraient flous dans le texte porteur d'Anne Hébert.
« J'étais un enfant dépossédé du monde. Par le décret d'une volonté antérieure à la mienne, je devais renoncer à toute possession en cette vie. Je touchais au monde par fragments, ceux-là seuls qui m'étaient immédiatement indispensables, et enlevés aussitôt leur utilité terminée; le cahier que je devais ouvrir, pas même la table sur laquelle il se trouvait; le coin d'étable à nettoyer, non la poule qui se perchait sur la fenêtre; et jamais, jamais la campagne offerte par la fenêtre. Je voyais la grande main de ma mère quand elle se levait sur moi, mais je n'apercevais pas ma mère en entier, de pied en cap. J'avais seulement le sentiment de sa terrible grandeur qui me glaçait. »
Le traitement des images reste magnifique, particulièrement le dosage des éclairages, rarement éclatants, le plus souvent en demi-teintes, zones d'ombres, favorisant les ambiguïtés. En filigrane, le travail effectué sur le son se révèle d'une rare maîtrise. Jamais au cinéma québécois (et rarement ailleurs) n'ai-je été témoin d'une telle minutie dans le traitement des strates. Il n'est pas ici uniquement questionnement de la musique (bien conçue, de Normand Corbeil), mais de tout l'aspect sonore, des grondements aux sifflements, des craquements au bouillonnement du torrent, autant d'éléments essentiels pour entrer entièrement dans la psyché du personnage, qui doit apprivoiser la surdité.
Soulignons également le jeu des acteurs. Victor Andrés Trelles Turgeon, que j'avais remarqué dans Pour l'amour de Dieu de Micheline Lanctôt, a tout naturellement privilégié un jeu intense, tourné vers l'intérieur, physique (à quoi sert de dire quand tout autour de soi nous pousse à se taire?). Dominique Quesnel en marâtre d'une rare violence, réussit néanmoins à transmettre la fissure profonde que Claudine porte en elle. Cet enfant, qui la continue, elle lui voue au fond un amour féroce, qu'elle tente de mater à coup de corrections physiques et d'abus verbaux. Laurence Leboeuf campe quant à elle une Amica (ainsi que, teinte en blonde, Claudine jeune, adroit clin d’œil du scénario) enjôleuse, source de rédemption aussi bien que de perte, lumière autant qu'ombre.
Un très grand film, tiré d'un texte puissant.
2 commentaires:
Je me tiens généralement assez au courant des sorties de films québécois et je n'ai pas vu passer celui-ci dans mes cinémas habituels. Il semble très intéressant, quoique je privilégierais sûrement la lecture plutôt que le film.
Merci pour ce partage.
Je pense que le livre et le film sont complémentaires côté expérience. Tu pourras toujours attendre la sortie DVD...
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