mardi 11 février 2014

Question de regard

Jusqu'où peut-on adapter et métamorphoser un classique? Les réponses sont sans doute aussi multiples que les lectures que l'on peut faire d'une oeuvre. J'en ai eu la preuve une fois encore, samedi dernier, alors que je découvrais l'adaptation de La mouette de Tchekhov que proposait l'encensé metteur en scène canadien Peter Hinton. Premier constat: alors que le dramaturge russe est régulièrement monté en français, qu'il est devenu un incontournable des saisons théâtrales, il semble ne pas connaître une telle popularité en anglais. On l'associe volontiers semble-t-il à un certain théâtre de l'ennui (élément présent dans La mouette, bien sûr, alors que tous les protagonistes se plaignent du peu d'activités que leur offre la campagne, ici un vignoble dans la vallée du Niagara) et c'est sans doute pourquoi Peter Hinton a choisi non seulement de le dépoussiérer, mais d'en tirer un objet théâtral hybride, presque dénaturé, auquel se greffent de multiples références à la pop-culture. Oui, bien sûr, les mentions d'actrices russes célèbres il y a près d'un siècle ne veulent plus rien dire pour nous, mais a-t-on vraiment besoin d'intégrer des histoires sur Helen Mirren, Christopher Plummer (si remarquable soient-ils) ou une blague sur le ténor Ben Heppner?

Où est la frontière entre adaptation et nouvelle pièce? À quel moment cesse-t-on d'écouter les mots de Tchekhov pour n'entendre que la voix de Hinton? Là est la question, semble-t-il. Sa lecture de La mouette n'est pas inintéressante, au contraire. La féminisation du personnage du juge à la retraite, qui devient Sorina, (brillamment interprétée par Diane d'Aquila) fonctionne à merveille. Les commentaires musicaux à la guitare de Dorn le médecin (Patrick McManus, suave en vieux hippie) sont savoureux. La scénographie d'Eo Sharp, à la Cy Twombly, envoûte. La distribution a été encadrée adroitement: Lucy Peacock est effarante de nombrilisme assumé en Arkadina, Marcel Jeannin offre un Trigorin bellâtre à souhait, pas tant suffisant que décalé, Michel Perron en Shamraev suscite les rires en intendant du domaine, Patrick Costello démontre bien la fragilité de Constantine (devenu Coco). 

Pourquoi alors ai-je eu l'impression de ne pas avoir reconnu Tchekhov, d'avoir été lésée en quelque sorte, contrairement à l'ami qui m'accompagnait - ou à la bande d'adolescentes qui riaient à gorge déployée, parfois à de bien curieux moments? Peut-être tout simplement parce que je n'avais pas entièrement réalisé que j'allais en fait voir une pièce de Peter Hinton. Le libellé était pourtant clair: « une nouvelle version adaptée et mise en scène par Peter Hinton, d'après la pièce d'Anton Tchekhov ». Cela m'apprendra à lire mon programme après plutôt qu'avant...

Jusqu'au 19 février au Centre Segal.

2 commentaires:

Tania a dit…

J'imagine bien votre déception. Un rendez-vous avec Tchekhov, c'est si subtil, un défi pour les metteurs en scène. Relire "La mouette" vous en consolera.

Lucie a dit…

Oui, peut-être... mais là encore, dans quelle traduction? ;)