jeudi 18 juin 2015

Matisiwin

Quel magnifique livre que Matisiwin (vivre), dernier opus de Marie Christine Bernard, qui s'articule autour de la marche vers elle-même de Sarah-Mikonic Ottawa. Comment peut-elle se définir dans cette lignée de femmes atikamekw? Comment peut-elle se réconcilier avec ses ancêtres (le parcours est narré par sa grand-mère maternelle décédée), mais aussi avec l'horreur des pensionnats autochtones (des pages volontiers en retenue, pourtant d'une extrême violence sublimée), les abus de substances, le sentiment d'exclusion ressenti, les réserves qui annihilent l'essence même de ceux pour lesquels elles ont été construites.
« Nous considérant les uns les autres comme des étrangers, nous ne savions plus nous parler, nous aimer, nous consoler. Nous avons laissé nos enfants se détacher de nous, car nous ne les reconnaissions plus. Nous les avons laissés se mépriser eux-mêmes. »
Le propos est déjà suffisamment essentiel pour que l'on s'y attarde. Pourtant, la force du livre réside ailleurs: dans la plume tout en délicatesse de l'auteure, dans la tendresse qu'elle porte à ses personnages, dans le sérieux avec lequel elle a suivi pendant quelques années la vie de ces hommes, mais surtout de ces femmes dépossédées de leur identité, dans l'attention avec laquelle à travers une série de micro-récits, elle évoque le temps qui ne passe pas, mais coule, aussi bien sur la surface de cette terre dont nous faisons trop peu de cas qu'en nous, sur la nécessité de pardonner - et de se pardonner - et de continuer à avancer, un geste à la fois.
« Tu as besoin de refaire le chemin jusqu’à toi-même avant d’être capable de marcher à ses côtés. Avant de faire ce choix de lui, et pas d’un autre, pour être le compagnon de ta vie et le père de tes autres enfants. »
Ce roman part de l'expérience personnelle (même fictionnelle) pour s'ouvrir sur l'universel, sur la nécessité de s'accepter soi-même avant de pouvoir regarder l'autre dans les yeux, de lui tendre la main, de partager un instant sa route, d'être transformé par le lien indéfectible qui nous unit; voilà sans doute ce qui décuple sa puissance.

Un voyage vers l'autre, vers soi, à s'offrir.

4 commentaires:

Le Papou a dit…

Bonjour Lucie,
Je ne surprendrai pas en te disant que je ne connais pas l'auteure. Il me semble qu'il y a, en ce moment, une recherche d'identité amérindienne ;Michel Jean "Elle et moi", Lucie Lachapelle "Rivière Mékiskan", et celui-ci semble de la même veine.
Je le note.
Le Papou

Lucie a dit…

L'auteure n'en est pas à ses premières armes, mais je la lisais pour la première fois également. Elle a choisi ici sans doute de se réconcilier elle-même avec une partie de son passé. C'est un prolongement si l'on veut à Elle et moi, mais le ton est tout autre.

Marie Christine Bernard a dit…

Merci pour ces mots magnifiques.

En fait, c'est la rencontre elle-même avec les Atikamekw qui m'a iffert la possibilité de la paix intérieure, la récinciliation intime... Le roman fait peut-être état de cela, mais ce n'était pas l'intention. Cela dit nos livres nous révèlent toujours plus que ce que l'on aurait voulu.

Si cela vous intéresse mon roman "Autoportrait au revolver " fait une grande grande place à la musique, particulièrement celle de Bach. Et accessoirement àla musique country des années 70...

Merci encore.

Lucie a dit…

Merci beaucoup de votre présence ici, Marie Christine! Un grand coup de cœur pour votre roman et votre écriture, au-delà du sujet! Je lirai assurément Autoportrait au revolver en priorité. Si la musique y joue un rôle et Bach tout particulièrement... le nom de ce blogue n'a pas été choisi au hasard. :)