On ne revient pas indemne d'une visite au World Press Photo 2012 (exposition internationale itinérante qui en est à sa 55e édition) parce que, il faut bien l'admettre, même si je gagne ma vie entre autres avec les mots, parfois, la puissance d'une image réussit à les rendre entièrement caduques. Difficile en effet de résumer en dix mots ou même en mille certaines des émotions brutes - souvent brutales - ressenties à la vue de ces instantanés de vie, de mort, de trouble, de désolation, de beauté pure comme d'horreur insoutenable.
Depuis une semaine, plusieurs de ces images m'habitent. J'ai eu besoin de les revoir, grâce
au très complet site (qui propose dans certains cas d'autres clichés d'une série présentée, prolongeant d'autant l'expérience). J'ai eu besoin d'en parler, de vive voix, par courriel, avec des amis ayant vu l'exposition (parfois dans une autre ville que la mienne), avec d'autres que j'ai pressé de se déplacer, avant que l'exposition ne se termine dimanche prochain le 30 septembre.
On y retrouve aussi bien des reportages sur le printemps arabe (ces poings levés, quelle puissance dans le sous-texte!) que sur l'accident nucléaire ou le tsunami japonais (nous sommes bien peu de choses face à la puissance déchaînée de la nature) ou des images prises après la tuerie à Utoya, sur lesquelles on voit parfois les victimes du tueur fou. Pourtant, celle qui m'a le plus bouleversée, c'est celle-ci, une simple fleur au large de l'île fatidique.
|
photo: Niclas Hammarström | |
Je reste encore hantée par ces photos prises en salle d'interrogatoire d'Ukraine du Canadien Daniel Weber, 1er prix mérité, catégorie portraits (mais comment a-t-il réussi techniquement à prendre ces photos?).
|
Photo: Daniel Weber |
Je retiens aussi ce cliché insupportable, dans lequel on assiste à un entraînement du « Colonel » Franz Jooste en Afrique du Sud, qui démontre à une bande de jeunes garçons fascinés comment tuer un Noir.
|
Photo: Ilvy Njiokiktjien |
Et puis, il y a toutes ces histoires de gens « ordinaires »: ceux qu'on chasse de chez eux aux États-Unis
car ils ne peuvent plus payer leur loyer, Jason, ce père qui doit élever seul sa fille Alyssa (
des clichés en noir et blanc incroyables de beauté et de douleur superposées) ou encore la magnifique série
« Never let you go », touchant témoignage d'amour d'un homme pour sa femme atteinte d'Alzheimer, à laquelle il est marié depuis plus de 65 ans.
|
Photo: Alejandro Kirchuk |
|
Photo: Alejandro Kirchuk |
De plus, à Montréal, nous sommes gâtés, puisqu'en plus des 161 images présentées, deux expositions satellites sont proposées:
AnthropoGraphia, des photoreportages sur les droits humains, qui proviennent d'un peu partout dans le monde et
Rouge2 (rouge au carré), photos, vidéos, sérigraphies et textes réalisés en marge des mouvements étudiants et sociaux
qui ont secoué le Québec depuis le printemps 2012. On y retrouve aussi bien des photos de professionnels que de particuliers. Soulignons ici la remarquable prise de vue du graffiti « gratuité scolaire » nettoyé par
une équipe de professionnels de Guillaume Simoneau pour
The Walrus, la terrifiante scène d'immobilisation captée par Edouard Plante-Fréchette de
La Presse ou les deux clichés d'Allen McInnis pour
The Gazette qui
témoignent d'arrestations massives. Ce regard frondeur de manifestant, assis dans un autobus de la STM bondé, qui traverse l'objectif, reste absolument renversant.
Les photographies primées du World Press Photo 2012 seront ensuite présentées à
Toronto, du 5 au 26 octobre, au Brookfield Place, Allen Lambert Galleria et du
1er au 25 novembre 2012 à la Pulperie de Chicoutimi / Musée régional, dans le
cadre du Zoom Photo Festival / Saguenay.
7 commentaires:
hier j'ai cliqué sur le lien vers les photos puis je me suis perdue dans leur contemplation et j'ai oublié de revenir te dire merci
Je suis contente qu'elles t'aient permis le voyage! :)
Je n'avais jamais entendu parler de cette exposition et ce que tu en dis dans le billet me semble beaucoup intéressant! Merci pour la présentation.
J'en avais beaucoup entendu parler, mais n'étais encore jamais allée. L'année prochaine, j'y serai assurément!
Des photos vraiment intéressantes - merci pour le lien. En regardant et admirant les clichés en noir et blanc (après le tsunami) je me suis posé une fois de plus la question : par quelle magie arrive-t-on à faire du "beau" à partir d'une tragédie ?
N'est-ce pas fascinant qu'un œil exercé puisse en extraire un peu de beauté?
Oui, fascinant et quelque peu troublant, pour moi...
Enregistrer un commentaire